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Tenou’a a rencontré Frédéric Encel, géopolitologue expert d’Israël et du Moyen-Orient. Pour nous, il revient sur ce qui a permis à la région, autrefois en proie à des conflits multiples et interminables, de devenir le pilier de la stabilité mondiale.

© Tal Shochat, Mona and Horse, 2022, color print, 118 x 124 cm
Courtesy of the artist and Rosenfeld Gallery, Tel Aviv

ANTOINE STROBEL-DAHAN Frédéric Encel, vous êtes géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient notamment. Avant toute chose, la rédaction de Tenou’a vous souhaite une excellente année 2063 !
On peine à l’imaginer aujourd’hui, mais la région dont vous êtes spécialiste a longtemps été qualifiée de poudrière. Un peu de contexte : Israël (ancien nom de l’entité qui regroupait l’actuel Royaume Juif de Sion et l’État Libre d’Israël) a connu près de 80 ans de conflit avec ses voisins. Le Liban (qui était alors un pays indépendant) a connu plusieurs guerres civiles sur fond de tensions religieuses, la Syrie également fut déchirée pendant de nombreuses années par un pouvoir autoritaire et des sécessions fondamentalistes. Et je ne parle pas des guerres du Golfe, du conflit yéméno-saoudien ou, plus loin, des conflits entre l’Inde et le Pakistan, l’Iran et l’Irak, etc. Aujourd’hui, l’immense « Panatole » qui va des bords du Nil aux confins du Bangladesh et de la Corne de l’Afrique à l’Afghanistan est connu pour être un modèle de stabilité, de respect, de progrès et un pilier de la paix mondiale. Que de chemin parcouru…

FRÉDÉRIC ENCEL Certes, mais je vous rappelle qu’il fallut pour cela l’invasion des tripodes de la galaxie 95D ! Sans ennemi commun et unanimement perçu comme mortellement dangereux, on en serait sans doute encore à se crêper le chignon… Notez que ce n’est pas nouveau ; il y avait bien eu le précédent de la crainte que faisaient peser deux cents divisions soviétiques à l’est du sous-continent européen, pour que les États occidentaux fassent naître ce qui aura été quelques décennies durant l’Union européenne. Dans le cas de notre Panatole, la lutte menée de concert contre les envahisseurs entre les forces israéliennes, judéennes, néo-assyriennes, islamo-pharoniennes, bouddho-védiques et pan-perses – absolument pas évidente à l’origine – fut déterminante. En même temps, comme vous le savez, tout ne va pas de (routes de la) soi(e) ! Les forces rebelles phénicio-babyloniennes posent des problèmes, surtout depuis que l’Empire du milieu Qing-Tang-Ming a conclu une alliance avec les tribus mercenaires Incas et Cheyennes évangélisiaques qui cherchent à nous déstabiliser avec leurs mercenaires ukrainophones. Mais enfin, notre cité tient bon !

ASD On murmure que c’est l’interdiction des énergies fossiles coïncidant chronologiquement avec les premières guerres de l’eau qui ont forcé toutes ces nations à se réunir, à s’entendre et à créer cette entité qui, pour disparate qu’elle soit, n’en est pas moins un exemple d’unité. Tout cela a été très soudain, comment l’expliquez-vous ?

FE Mais par la découverte de ce Puits-du-pas-fou situé au fond de ce que nos Anciens appelaient la Mer Morte, et qui mène au noyau terrestre ! Car à partir de là, nous avons pu créer un consortium régional afin de prélever cette nouvelle énergie infra-solaire propre et inépuisable dont le commerce nous a rendus si prospères.
Quant à l’eau, c’est limpide : grâce à nos ingénieurs du Technion polytechnique et du Hèmaïty jaïpourien (et – peut-être, allez savoir – du fait aussi des prières et incantations des derviches tourneurs, haredim esséniens, bardes arméniens et autres Druzes soufis…), les immenses blocs gelés de l’Antarctique menaçant de se détacher ont pu être acheminés via Ormuz et Bab el Mandeb et satisfont dès lors à nos besoins hydriques. Plus de conflit donc autour du Nil, du Tigre, du Jourdain ou de l’Euphrate !

ASD Revenons un instant sur le pays qui s’appelait Israël. Aujourd’hui, la Fédération hébraïque regroupe le Royaume Juif de Sion, État religieux en plein essor, l’État Libre d’Israël, fer de lance de la technologie et lieu de fête apprécié des touristes du monde entier, et quelques entités ultramarines, en Afrique de l’Est, en Amérique du Nord, en Europe de l’Est et en Amérique latine. Rien, il y a encore 40 ans, ne semblait prédestiner les populations juives de la région à se mettre d’accord entre elles et avec leurs voisins non-Juifs sur une séparation en plusieurs entités alliées aux projets pourtant si différents. Quel a été le cheminement qui a permis cette nouvelle géographie politique de la région ?

FE Vous savez, comme le disait l’adage ancestral, deux Juifs, cela fait trois partis. Un troisième arrive et il y a schisme ! Je vous dirais que c’est l’avènement du judéïsme néo-pilpoulien qui a permis cette évolution, encouragé par le retour au « berceau » de la fameuse treizième tribu perdue dont avait parlé, entre autres, Arthur Koestler. Ce qu’on n’imaginait pas, c’est qu’elle comprendrait 256 millions de membres sur tous les continents ! Donc là, si vous voulez, il a fallu pousser les meubles et réorganiser de fond en comble le collectif, et dépasser les vieux clivages cultuels, culturels, liturgiques, politiques, spatiaux et même gastronomiques. On comprend mieux pourquoi Jérusalem s’étend dorénavant sur 26 000 km² et que ses antennes-zoom virtuelles sont au nombre de 67 sur 172 pays et déjà de 19 sur Mars. La dernière-née vient d’ailleurs d’être inaugurée sur le cratère lunaire Abenezra. Oui, le rite pratiqué y est sépharade, en effet.

ASD Encore une fois, il faut faire un effort d’imagination, mais la région était le réceptacle d’innombrables tensions, notamment entre l’actuel Iranestan, État-frère de Tel Aviv aujourd’hui mais qui était alors la République islamique d’Iran (oui !), et le Bloc du Golfe SaouDjibouti dont on se rappelle qu’il était le théâtre de conflits armés longs et meurtriers. L’histoire de ces deux entités qui forment désormais le fameux couple farso-golfique, si important dans la marche du monde, pourrait-elle servir à résoudre les innombrables conflits locaux que nous voyons aujourd’hui se multiplier dans la région nord-américaine et dans le nord de l’Europe ?

FE En tout cas, on peut imaginer une intercession entre Sioux et Celtes. Après tout, l’ex-Océania avait bien été pacifiée par une coalition diplomatique arméno-rwandaise, alors pourquoi pas celle du Panatole. L’essentiel est de pouvoir éviter une nouvelle confrontation fomentée par les fanatiques de la nouvelle Inquisition salafo-fasciste.

ASD On voit donc aujourd’hui, au sein du « Panatole », outre les nombreux territoires autonomes, deux blocs principaux, un laïc et un religieux – chacun regroupant de nombreuses entités politiques qui se sont formées en redessinant les frontières de toute la région il y a plusieurs dizaines d’années, lors de la Première Conférence du Levant, initialement destinée à permettre à tous les habitants de la région un accès libre à l’eau potable. À cette époque, grandes étaient les craintes que ces deux blocs ne finissent par s’affronter. Pourtant, le Panatole est aussi une zone de libre circulation, a une force armée unique, une monnaie unique, une Cour suprême qui siège dans la cinquantaine de langues et dialectes qui y sont reconnus et, s’il existe bien évidemment quelques inimitiés politiques, rien ne semble pouvoir rompre l’état de paix durable qui unit tous les habitants de la grande région. L’Histoire nous apprend que ces alliances qui semblent éternelles s’effondrent parfois aussi soudainement que la paix peut advenir. Quels seraient, selon vous, les moyens de garantir le plus longtemps possible la paix et l’union au sein du Panatole ?

FE Respecter l’esprit du tikkoun olam ; chaque individu, famille, clan, association, institution, entreprise, cité, région et État s’engage formellement et solennellement à laisser le monde meilleur que lorsqu’il l’a trouvé. Ah oui, et aussi cesser de croire qu’un jour une femme a fait croquer un fruit transgénique à son amoureux. Simple comme baloutche, non ?