Juif et chauve, la double peine

Lassé des vexations et des discriminations que subissent les chauves comme les Juifs, Laurent Sagalovitsch a décidé de passer à l’action.

© Noa Arad Yairi, Bald Woman Sitting, 2011, burnt clay, 24,5 x 13,5 x 18 cm – www.noaaradyairi.com

Il est évidemment essentiel de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, ces deux fléaux enracinés dans le cœur des hommes. Mais quand on parle de fléau, il en existe un autre bien plus sournois qui s’attaque sans vergogne à toute une frange de la population et la maudit au point de vouloir son excommunication. Un racisme des plus ordinaires dont personne ne parle et qui pourtant provoque chaque année des suicides en pagaille.

Qui saura dire ce que les chauves – car oui c’est bien d’eux qu’il s’agit – ont à endurer, cette discrimination de tous les instants, cet opprobre, ces regards, ces jugements, ces accusations, ces stigmatisations si répandues au sein de la société que j’en connais plus d’un qui, de peur d’être livré à la vindicte populaire, préfère ne jamais sortir de chez lui. Ou bien alors seulement affublé d’un chapeau, d’une casquette, d’une kippa, d’une calotte, d’un béret, d’un pompon, de toutes les coiffes possibles et imaginables à même de dissimuler cette innommable infirmité que la science nomme la calvitie là où de sinistres plaisantins usent d’un immonde sobriquet pour la qualifier : « Crâne d’œuf ! Crâne d’œuf ! » cancanent-ils quand ils en repèrent un, interjection imbécile qui ne manque pas de provoquer le rire gras des passants chevelus.

Ô chauves de tous pays, qui saura prendre votre défense ?

Quel Zola, quel Voltaire, quel Badinter ira risquer jusqu’à son honneur pour dénoncer l’opprobre dont vous souffrez ? On vous chasse des villes, on vous enferme dans des ghettos, on vous crache à la figure, on vous honnit avec la même férocité que si vous apparteniez au peuple élu. Une attaque en règle dont vous souffrez depuis la nuit des temps et qui pourtant ne rencontre qu’indifférence quand ce ne sont pas de simples moqueries.

Qui se soucie de vous ? Personne. Qui vous défend quand vous subissez les attaques de la foule anonyme ? Personne. Qui s’émeut quand on vous refoule à la porte des cinémas sous prétexte que votre crâne luirait de trop dans l’obscurité ou quand on vous refuse l’accès à certaines professions comme celle de barbier ou de dermatologue ? Là encore personne. Votre solitude est effrayante. Même les juifs vous détestent. Lorsqu’un juif a le malheur de perdre ses cheveux, sans plus attendre, sa femme le quitte. Ses enfants le dénoncent à la Kommandantur. Les synagogues leur refusent l’asile ; ils deviennent les plus grands des pestiférés, pires que n’importe quel goy. Les rabbins les prennent en exemple pour prévenir les conduites inappropriées : « Celui-là a mangé un croissant le jour de Kippour, l’année qui a suivi l’a vu devenir chauve/ Celui-là a couché avec la femme de son frère, à son réveil, ses cheveux l’avaient déserté/ Celui-là a mangé du fromage dans la même assiette qu’il avait dégusté son rumsteck, dans l’ heure, ses cheveux l’ont abandonné », les entend-on brailler dans toutes les yeshivot [écoles talmudiques] de la planète. Au mur des lamentations, quand un Juif chauve se présente, on l’envoie balader comme le dernier des lépreux. Un peu plus et on le lapiderait en recommandant de viser son crâne, objet de toutes les répudiations. Un juif chauve est la pire des malédictions qui soient. Aucune femme ne s’éprend jamais de lui et même les marieuses détournent le regard quand une mère de famille dont le fils est chauve vient implorer son secours. On le dit stérile. Puisque rien ne pousse sur son crâne dégarni, comment pourrait-il seulement procréer ? De vieilles légendes prétendent que le juif doit sa calvitie à une circoncision qui aurait mal tourné, un accident de prépuce qui favoriserait, par un échange de fluide prospectif, la chute irrémédiable des cheveux.

Qu’on se le dise : juif et chauve ne font pas bon ménage. Celui-là voulait devenir rabbin mais comme aucune barbe ne lui poussait, il a fini comme laveur de carreaux. Un autre se prédestinait au métier de shohet, d’abatteur de bêtes, mais ces dernières étaient tellement épouvantées par la vision de sa calvitie triomphante qu’elles fuyaient avant même d’être attrapées.

Trop c’est trop.

C’est pourquoi j’ai décidé de lancer un nouvel organisme qui luttera contre la discrimination des chauves, de tous les chauves, juifs, goys, musulmans, bouddhistes, gays, LGBT et bien d’autres encore – La LIDCU. La Ligue Internationale contre la Discrimination de la Calvitie Universelle. Son mandat sera clair : permettre à tous les chauves de vivre leur calvitie dans le respect et l’honneur. Ce sera le combat de toute une vie. Aussi longtemps qu’un chauve aura à souffrir de sa condition, aussi longtemps je lutterai. Rien ne m’arrêtera. L’antichauvisme doit être sanctionné pareillement que le racisme et l’antisémitisme car qui s’attaque à un chauve, s’attaque à l’humanité tout entière. Chauves de tous les pays, vous n’êtes plus seuls. Une aube nouvelle se lève.

Le temps des chauves est arrivé.