#justice

« Restaure nos juges comme aux temps premiers,

Nos mentors comme au commencement. »

 

(Prière de la Amida)

Un Sanhédrin pour le peuple juif

À ces mots quotidiennement ânonnés, quelle image se projette dans la pensée du priant ? Gorgé de pseudo-culture talmudique, à quoi rêve-t-il en cet instant précis ? La réponse est aussi banale que terrifiante, dictée par la nostalgie imposée, au nom d’une histoire fantasmée : le citoyen-priant de 2023 rêve de royauté, et, avec elle, de peine de mort, d’esclavage (à deux régimes : pour juif ou non), de femme à peine plus favorisée que l’esclave, de coups de fouet, d’une justice prompte à pratiquer la terreur. Ils rêvent d’antiquité nos priants, mais ne le savent pas, passionnés qu’ils sont d’anathèmes et d’abolition de la pensée. Interrogez-les, ils ne se rendront même pas compte de ce que leur bouche vous dira.

Pourtant, on sait quels périls naissent de masses que l’on fait mal et trop religieusement rêver. C’est ce vers quoi tend la société israélienne déjà en 2023 – elle qui concentre, depuis le miracle de 1948, l’essentiel de la trajectoire du peuple juif – à force de caprices politiques, de compromis, d’abaissements sur fond de messianité toxique. Son destin ? En rupture avec la diaspora, filer droit vers un scénario iranien : un monde sans profane, le rêve banal du priant, dans un cerveau assoupi.

Mais nous sommes en 2063 et la dystopie n’est pas advenue. Car il y eut un tournant, un terme au lourd héritage de vingt siècles d’éparpillement. Ce fut, on ne sait trop comment, la fin de l’exil de la Halakha.

Exil de la Halakha, qu’est-ce à dire ? La Halakha de 2023, fruit du long exil, en porte tous les stigmates et représente au moins une quadruple aberration :
1. Par l’éclatement insensé de sa production, elle est rendue proprement insaisissable et inaccessible. Quasiment plus aucune notion restée simple et stable à force de raisonnements additionnés surgis de n’importe où.
2. Elle cultive autant de clivages culturels et doctrinaux qui auraient dû se résorber, rendant impossible tout sens commun.
3. Produite par des esprits très inégalement accessibles aux sciences, elle est largement déconnectée des réalités et du monde.
4. Médiocrité de la classe politique oblige, elle est devenue le pur instrument d’intérêts claniques, appuyés par telle force – voire telle faiblesse – idéologique. Vérifiez par vous-même : qui n’est pas de la famille ou du parti, n’est pas Dayan en poste.

2023 : beaux esprits tétanisés, peuple juif en souffrance par tant de sujets, une élite religieuse condamnée par elle-même à l’inaction. 2063 : une société apaisée, mûre, éduquée, à la spiritualité assainie qui tourne le dos à la superstition et se défie enfin du sous-produit ; une société juste, égalitaire, en paix avec ses voisins, en harmonie avec sa pluralité, en phase avec la diaspora.

Par quel autre miracle ? Par l’œuvre du Grand Sanhédrin du peuple juif.
Il y eut moult tentatives de restaurer la grande institution de la période du second temple, fille de la Grande Assemblée d’Ezra. Jusqu’à la dernière tentative en 2004, avortée – ou en passe de l’être – pour avoir épousé les instincts les plus violents de l’extrême droite nationale.

Lisons plutôt le traité de Talmud dédié et faisons œuvre de sagesse. Le Sanhédrin auquel nous pourrions rêver est au sommet de la légitimité : ses avis sont, comme jadis, contraignants pour l’arborescence des autorités et assemblées religieuses locales. Composé des plus grands esprits – femmes et hommes – versés dans les savoirs de l’humanité comme dans la sagesse juive, il est ouvert au principe de la recherche dans toutes ses disciplines. Représentatif, il n’est pas le Sanhédrin de l’État d’Israël pas plus que de quelques factions, mais la Haute Assemblée du peuple juif mondial. Il est en charge des questions religieuses et n’intervient pas en politique. Il encadre la recherche halakhique, centralise les plus grands arbitrages, ose les décisions salutaires, relance l’étude savante des Écritures, le chantier de la théologie fondamentale délaissé depuis l’âge d’or Espagnol…

… Mais, il est temps de rendre la plume et, pour qui le peut, de commencer à agir.