#kotel

© Eyal Noy, A Desert Camel, 2022, oil on cutout canvas, 60×200 cm Courtesy of the artist and Rosenfeld Gallery, Tel Aviv

Hôtel de la Paix,
Jérusalem, le 4 janvier 2363

Ma chère Dina,

Je suis donc l’un des rares voyageurs à être venus visiter la Terre sainte cette année, en hiver parce que, comme tu le sais, c’est la seule saison de l’année où la chaleur y est encore supportable. Comme la plupart de ces touristes un peu téméraires, je me suis offert une de ces petites fioles de verre remplies de poussière que l’on vend désormais dans le pays. J’ai ouvert le coffret de carton dans lequel elle est emballée et déplié le petit papier qui en donne le « mode d’emploi ». Voici ce qu’on y lit, que je te traduis de l’hébreu :

« Il y a de cela trois cents ans, un événement étrange et spectaculaire a affecté ce qu’il était alors convenu d’appeler Mont du Temple ou Esplanade des Mosquées. Cet événement est mal connu, les catastrophes climatiques des trois derniers siècles ayant détruit la plupart des documents papier ou numériques qui en avaient gardé une trace un tant soit peu précise.

« Selon la Tradition, dans la nuit du 4 au 5 août 2063, qui était aussi la nuit du jeûne du 9 av 5823, un tremblement de terre inédit, très violent, a frappé Jérusalem de manière curieusement sélective. Personne n’a rien vu, chacun étant alors enfermé chez soi pour profiter du peu de fraîcheur que prodiguait la clim’. Ce n’est que le lendemain à l’aube que l’on découvrit l’ampleur des dégâts.

« Le Mont du Temple n’était plus qu’un immense tas de poussière. Mur occidental, Dôme du Rocher, Mosquée al-Aqsa, vestiges juifs et édifices musulmans, tout avait disparu, tout était confondu, pulvérisé et parfaitement indiscernable. C’est un peu de cette poussière que contient la fiole de verre que vous avez achetée. »

À considérer la somme que j’ai payée pour l’acquérir, je ne doute pas que cette fiole soit une imitation. Et d’ailleurs, qui serait assez fou pour se coltiner la périlleuse exploration du monstrueux tas de débris qui côtoie la Vieille Ville ? De la poussière, il n’en manque pas en Terre sainte, il suffit de se baisser pour en ramasser.

Ma médiocre connaissance de l’arabe ne me permet hélas pas de lire, au dos de ce petit papier, la version musulmane de cette présentation. Elle réserve sûrement des surprises. J’aimerais bien savoir, par exemple, comment sont rendues les dernières lignes du texte hébreu (ton cher Hassan nous dira ça à mon retour) :

« Cette petite fiole de sainte poussière a une vertu particulière. Si vous connaissez un couple en difficulté dans votre entourage, placez-la sous leur lit pendant un shabbat complet. La concorde reviendra alors très vite entre mari et femme. » Toi et ton cher Hassan n’avez certes nul besoin de cela. Vous m’avez tout l’air d’être un couple heureux. Mais nous trouverons bien sur qui tenter l’expérience. Les couples de grincheux ne manquent pas…

Ici, les nouvelles sont mauvaises. L’énorme digue censée protéger le littoral de la montée des eaux craque et fuit de partout. Juifs et musulmans prient ensemble leur Dieu pour qu’il leur épargne le malheur qui s’annonce. Mais tu sais quel mécréant je suis. Pas plus que Dieu n’a pulvérisé le Mont du Temple, Il n’arrêtera la mer. Et je crains que l’on ne vende bientôt ici que des fioles remplies d’eau salée… Qui, accrochées au cou des nageurs, les protégeront de la noyade…

Je t’embrasse.

Jacob, ton père.