La lanterne magique des enfants d’Izieu

La Maison d’Izieu, Mémorial des enfants juifs exterminés, fut le lieu de vie et de refuge d’enfants juifs durant la guerre jusqu’à ce que, le 6 avril 1944, Klaus Barbie, à la tête d’hommes de la Gestapo et de la Wermacht, ne vienne rafler tous ceux qui se trouvaient là. Des 51 personnes arrêtées, 44 enfants et 7 adultes, seule Léa Feldblum, éducatrice de la colonie, survivra à Auschwitz. En 1943, les enfants menés par le cuisinier, passionné de cinéma, créent une « lanterne magique », – un instrument d’optique qui sert à projeter des images sur un écran ou sur un mur.

© Bibliothèque nationale de France, atelier de restauration du département des Estampes et de la Photographie

Il y a à la fois quelque chose d’éphémère et d’éternel, quelque chose de fragile et de puissant dans ces rouleaux dessinés par les enfants d’Izieu en 1943. Accompagnés par le jeune cuisinier de la colonie Philippe Dehan, âgé de 21 ans, qui leur a transmis son amour du cinéma, les enfants ont créé des histoires sous forme de rouleaux dessinés, destinés à être projetés à la lueur d’une source lumineuse contre un mur ou écran – selon le principe de la lanterne magique – comme une bobine de film. Les enfants accompagnaient cette projection par la lecture de leurs récits, véritables scénarios dont ils interprétaient les dialogues et créaient les bruitages.

Pour attacher les dessins entre eux et former un rouleau, les feuilles ont été reliées à l’envers par des bandes de papier découpées dans les cahiers d’écoliers et collées. On retrouve ainsi les carreaux de cahiers et, au dos, des fragments de devoirs de maths et ou de pièces de Molière. L’écriture du scénario, la création de dessins en couleurs et la confection des rouleaux se doublaient d’une performance cinématographique et théâtrale avec les moyens du bord. L’imagination et l’art étaient les moteurs de l’évasion et du divertissement pour ces enfants arrivés de partout sans leurs parents. Ensemble, ils ont élaboré plusieurs histoires, visiblement influencées par les magazines, livres et thématiques de l’époque, avec leurs aventuriers, leurs héros et leurs rêves. Des dessins très évocateurs, impressionnants d’agilité, utilisant ce qu’ils pouvaient pour donner des effets de contraste, de vitesse et de mouvement. Des dessins matures et naïfs, reflétant incertitude et espoir.

Après l’arrestation puis la déportation des quarante-quatre enfants et des six éducateurs et le saccage de la maison le 6 avril 1944, la directrice Sabine Zlatin revient à la colonie et sauve tout ce qu’elle trouve : dessins, lettres, photos et documents divers, parmi lesquels six rouleaux dessinés composant trois histoires. En 1993, Sabine Zlatin fait don de ses archives personnelles et administratives à la Bibliothèque nationale de France. Ce fonds inclut aussi des lettres et dessins des enfants, des cartes de vœux illustrées pour les anniversaires ou les fêtes, ainsi que les fameux rouleaux dessinés. Certains dessins sont signés Octave Wermet (pseudonyme d’Otto Wertheimer), Max Tetelbaum et Jacques Benguigui, une grande partie est anonyme ou fruit d’un travail collectif, comme les rouleaux : il y a un scénariste, un illustrateur, un coloriste et un monteur : « On fait des films. Mois, je les colores puis un autre qui les désine on a déjà fait aloa avec Tarzan, poursuite du bandit. Ses jolis. Ces un cuissetôt qui a fait le cinéma. Il est bien. »

En 2019, la BnF entreprend avec succès la restauration de ces rouleaux extrêmement délicats, ainsi que leur conservation minutieuse et leur numérisation en haute définition.
Mais le travail de valorisation des rouleaux ne s’arrête pas là. Le Mémorial d’Izieu a voulu recréer la lanterne magique, en réalisant une version animée d’un des rouleaux – Ivan Tsarawitch. Grâce à une campagne de financement participatif, le Studio Parmi les Lucioles, à Valence, est parti des 74 dessins d’origine pour créer 3 300 dessins supplémentaires et respectueux du style des enfants. L’adaptation et la création d’images ont été réalisés avec soin par Clélia Ducrocq et Louise Vialla, récentes diplômées de l’École d’art Émile Cohl à Lyon. Restait la bande-son. Les enfants de la Colonie étaient des réfugiés de toute l’Europe et d’Afrique du Nord. En écho à leurs pérégrinations, la Maison d’Izieu a proposé à dix-sept jeunes réfugiés allophones du collège Aimé Césaire de Vaulx-en-Velin, de réaliser les voix et bruitages. Après une visite de la maison et du musée, des rencontres avec un ancien pensionnaire de la maison et plusieurs ateliers pédagogiques, les collégiens ont enregistré la bande-son sur les lieux des veillées à la lanterne magique. Le film d’animation d’une douzaine de minutes est projeté en permanence dans la Maison d’Izieu. Derrière le combat héroïque d’Ivan Tsarawitch contre ses assaillants sanguinaires, on devine, en filigrane, les angoisses des enfants, ainsi que leurs rêves d’avenir. On les voit fermant les yeux (ou serrant les poings) quand les affaires vont mal, on les entend taper des mains et des pieds pour encourager leur héros. On les imagine allant se coucher à l’issue de la veillée, le sourire satisfait et heureux aux lèvres. De l’éphémère devenu presque éternel. Du fragile avec une puissance rare.

Retrouvez le numéro hors-série de Tenou’a consacré à la Maison des enfants d’Izieu, en 2019.
Découvrir le film « Le projet pédagogique de la lanterne magique à la Maison d’Izieu », autour du film réalisé avec les élèves de Vaulx-en-Velin.
En savoir plus sur le Mémorial de la Maison d’Izieu