L’AUBE À BIRKENAU, SIMONE VEIL QUI PARLE APRÈS ELLE

Simone Veil, L’aube à Birkenau, récit recueilli par David Teboul, Les Arènes, 2019, 20 €

Ce livre se trouvait sur la table, il y a quelques mois, lors d’une soirée de préparation de ce numéro ; je ne l’avais pas encore lu. Je ne l’ai toujours pas lu : L’Aube à Birkenau est un livre que je n’ai pas su lire, je veux dire par là comme je lirais un livre dont je voudrais potentiellement faire la recension dans Tenou’a. J’ai pourtant bien essayé de m’asseoir à ma table de travail, crayon à la main, pour lire Simone Veil qui parle après elle dans les mots qu’elle prête à David Teboul. Ces pages ont systématiquement fait tomber mon crayon et happé ma consciencieuse attention. Ce livre, je l’ai vécu.

Sobrement, la couverture écrit : « Récit recueilli par David Teboul ». C’est sans doute vrai, sans doute pas tout à fait. Ce qui a été recueilli ou cueilli même ici, mais surtout partagé, ce n’est pas rien, ce ne sont pas que les propos de Simone Veil, c’est un peu de son être avec.

David Teboul vient, par cet objet – appelons-le livre puisque nous ne connaissons pas de mot plus approprié bien qu’il tienne dans ces pages un peu plus qu’un livre –, de créer quelque chose de nouveau, une sculpture, un témoignage, une mémoire en dimensions, vaporeuse et prégnante, une pièce littéraire, une oeuvre d’art sans aucun doute, un film imprimé sur papier, un mémorial.

Tout dans ce livre intrigue, tout vous prend, par la main ou par surprise. Le travail de mise en page cisèle et accompagne le récit, les propos entendus, les réflexions de l’auteur. Les marges se font presque absentes. Les photos prennent les pages d’un bord à l’autre, sans blanc autour pour respirer ni anoter d’ailleurs. La sensibilité de David Teboul imprègne toutes les pages, elle qui nous autorise à assister à ces conversations en invités, sans jamais nous sentir ni voyeurs ni extérieurs.

David Teboul, justement, qui livre son récit du récit, ses didascalies du témoignage, lui qui voulait tant rencontrer Simone Veil qu’il ne pouvait pas ne pas devenir son intime, lui qui pourtant, « a bien plus rencontré Simone Jacob que Simone Veil ». Lui qui l’accompagna à Birkenau, dans un voyage dur et lourd. Où, pourtant, « nous n’avons jamais aussi peu parlé du camp que lors de ce voyage. Ni autant ri », écrit-il en rouge clair et lumineux sur blanc crème, en presque pas là, en tellement présent qu’il n’est plus que ça.

Lui encore qui accompagne Marceline à sa demande revoir Simone lorsqu’elle est malade déjà, que tant ou presque l’a quittée. Ou presque parce que Marceline trouve une ruse : elle chipe les cuillères du café où ils se retrouvent, sitôt imitée par Simone et David, forcément gêné. Des cuillères comme retour du luxe, de l’espoir, du sauvetage qu’elles représentaient au camp. « La maladie n’avait pas tué le souvenir du camp, écrit Teboul, il était encore là et, lui, bien vivant. »

Les conversations avec sa soeur Denise, avec Paul Schaffer – ancien de Bobrek et Auschwitz –, ou avec Marceline, ces conversations sont de celles que jamais nous n’aurions cru pouvoir entendre, comme si nous étions là, comme nous y sommes puisqu’en fait nous sommes là, avec David Teboul. Ce n’est sûrement pas un hasard si, au gré des remerciements, on remarquera cette adresse à son éditeur : « À Laurent Beccaria qui a tout de suite entendu le livre », car ce livre s’entend, ce livre se voit, ce livre se vit plus encore peut-être qu’il ne se lit.

Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens photographiées par David Teboul en 2002 (Éditions Les Arènes)

Lire l’entretien avec David Teboul : Simone Jacob, une femme révoltée

  • Brigitte Sion

Arlette Farhi – Et il y avait les judéo-espagnols

ARLETTE FARHI est arrêtée chez elle, avec ses parents Léon Yuda et Reyna en pleine nuit. Ils sont d’abord internés au camp de Mérignac en Gironde puis transférés à Drancy. De nationalité turque, le père écrit au consulat de Turquie à Paris. Le consulat turc tente, à plusieurs reprises d’obtenir leur libération, ainsi que celle d’autres citoyens turcs auprès de la préfecture de Gironde et des autorités allemandes. Ils sont déportés le 20 janvier 1944, en même temps que 240 autres Judéo-Espagnols, dont de nombreuses personnes de nationalité turque pour lesquelles le consulat était intervenu.

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