Le rabbin, travailleur du Shabbat

© Carol Es, “The Deal”

Pour saisir le sens du shabbat, il faut se souvenir que l’Éternel crée le monde en six “jours”, puis Il cesse, le septième, pour se reposer… sur l’homme. L’homme sorti de la glèbe, devient jardinier pour travailler et conserver le jardin d’Éden. A-t-il respecté le shabbat durant sa longue vie? Le texte ne dit rien, pas plus qu’il ne nous parle du shabbat des patriarches.

En fait, la législation shabbatique va commencer avec une autre sortie, celle de la glèbe égyptienne, et là, dans le désert, les Hébreux découvrent la manne, qui tombe tous les jours, sauf le shabbat, d’où la double ration du vendredi – et oui, Dieu est shomer shabbat!

Au Sinaï, la législation sabbatique est officialisée dans la quatrième parole du Décalogue: “Six jours tu travailleras (pas de fainéants dans les rangs), mais le septième jour shabbat pour l’Éternel (repas familial, et tous à la synagogue le samedi matin). Plutôt cool comme programme. Oublier les soucis, faire un break, revoir un ami, sans penser qu’il s’agit là d’un concurrent professionnel.

En fait, il en est un (ou une d’ailleurs) qui est assez affairé durant ce jour du Seigneur: la ou le rabbin! Lire la parasha par exemple, n’est pas une mince affaire! Il faut bien prononcer les mots, posséder la cantillation idoine, revisiter quelques commentaires ou traductions sur des passages difficiles. Il existe bien des synagogues dans lesquelles la moindre erreur de l’officiant engendre une reprise générale par les fidèles qui ne laissent rien passer. Pour un jeune rabbin, c’est souvent assez stressant!

Le rabbin est un chef d’orchestre

Indépendamment de la préparation liturgique en semaine, personnellement je me lève plus tôt le samedi pour relire la parasha dans le Tikkoun Sofrim, une ou deux fois; une sorte de footing vocal, avant la rencontre synagogale. Cela fait une heure de moins de sommeil par rapport aux autres fidèles qui ne sentent pas le poids de cette responsabilité (et qui, à cette heure de la rosée matinale, se trouvent en phase digestive finale de leur couscous ou leur carpe farcie).

Et puis, il y a l’office à diriger, la drasha à exprimer, qui nous a demandé une bonne préparation en amont. Cette joie d’animer une communauté, de l’instruire de son étude de la semaine s’entend aussi comme un moment solennel de transmission. Si Adam fut un jardinier, le rabbin est un chef d’orchestre, sous son couvre-chef.

Chers lecteurs, lectrices ce sentiment vous a-t-il déjà traversé l’esprit: “Irai-je à l’office ce matin? Je me sens un peu fatigué, la semaine a été pesante, etc.”? – il paraît que ce sont les arguments du mauvais penchant. Eh bien le rabbin n’a pas le droit d’avoir ces états d’âme, car ses fidèles comptent sur lui et, si possible, il doit arriver parmi les premiers. Un rabbin retardataire ça ne fait pas très sérieux!

Un autre moment important de la journée sabbatique, le shiour, le cours de Torah. Il peut être donné avant l’office du matin et/ou après, et/ou l’après-midi avant et/ou après minha. En additionnant tous les “et”, cela fera beaucoup d’heures de cours, et donc de préparation.

Si la sieste semble inévitable surtout après l’apport calorique du repas de midi, le rabbin ne peut envisager de prolonger ce moment de quiétude tout l’après-midi – sa conscience professionnelle devrait d’ailleurs lui servir de réveil. En fait, il suit dans ce cas le conseil médical qui affirme que vingt minutes de sieste en journée valent deux heures de sommeil de nuit. Alors, comme dit le Shoulkhan Aroukh, il faut se lever “comme un lion” – si l’auteur du Shoulkhan Aroukh avait été australien, il aurait dit “comme un kangourou”.

Heureusement qu’il reste six jours pour se reposer

C’est dans sa bibliothèque, généralement bien fournie, que le rabbin analyse la parasha de la semaine à la lumière des commentateurs anciens et modernes. Car il sait que l’étude sabbatique est faite d’échanges avec les fidèles qui ne manqueront pas de questions – grâce à Dieu. Plus le shabbat sort tard, et plus la quantité de travail à offrir sera importante.

En dehors de ces moments officiels, il peut y avoir des moments plus officieux lorsqu’un fidèle veut parler au rabbin après l’office ou avant un cours: situation familiale difficile, problème d’éducation, questions religieuses, soutien psychologique parfois. Le rabbin accueillera chacun “avec un bon visage” selon l’enseignement des Pirké Avot. Un rabbin, on en conviendra, travaille beaucoup le shabbat. Heureusement, il lui reste une palette de six jours pour en consacrer un à plus de repos. Un sur six, non pas six sur sept, bien entendu!