Les images du procès Barbie à la maison d’Izieu

BNF

Lieu d’histoire et de mémoire ouvert à tous, la Maison d’Izieu perpétue le souvenir des enfants et des adultes juifs qui y ont trouvé refuge de mai 1943 à la rafle du 6 avril 1944. Lieu de recherche et de ressources, elle documente et mène des recherches sur l’histoire de la colonie d’Izieu, le parcours de ceux qui y séjournèrent ainsi que sur le crime contre l’humanité. Elle ouvre la réflexion sur la mémoire et ses enjeux et fait le lien entre l’histoire, la construction de la mémoire et les questions de transmission.

Dans le cadre de ces missions, la Maison d’Izieu conserve différents fonds d’archives en original. Les archives historiques sont constituées de papiers datant de l’époque de la Colonie, mais aussi de photographies provenant des anciens enfants ou de Sabine Zlatin. Les archives des procès regroupent des documents liés aux deux grands moments de justice auxquels est liée la Colonie: le procès de Nuremberg et le procès Barbie. La Maison conserve les papiers de Robert Falco qui était juge adjoint à Nuremberg et, plus récemment, elle a reçu en don les notes manuscrites d’audience d’Henri Donne-dieu de Vabres, juge à Nuremberg. Me Jakubowicz, avocat de parties ci-viles au procès Barbie, a fait don de ses dossiers relatifs à l’affaire d’Izieu. À cela s’ajoutent les archives directement liées à la création du mémorial, notamment les papiers de Sabine Zlatin, ceux de Pierre-Marcel Wiltzer et de la mission des Grands Travaux. Le travail de réflexion mené pour la nouvelle exposition inaugurée en 2015 a naturellement mis en évidence la nécessité de pouvoir montrer et travailler directement à partir des images du procès Barbie concernant l’affaire d’Izieu. Le recul des années passées montre combien l’impact du procès Barbie est significatif sur la société française: l’enseignement de la Shoah et le rôle de Vichy s’inscrivent désormais dans les programmes scolaires, l’ouverture anticipée des fonds d’archives de la Seconde Guerre mondiale a permis un travail historique, la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans les crimes commis par le gouvernement de Vichy est aujourd’hui actée.

Les images du procès représentent une ressource essentielle et structurante pour le travail de recherche de la Maison tant au plan historique – que nous apprennent les témoignages, les documents présentés, les analyses des experts ? – que concernant la place d’Izieu dans le paysage mémoriel aujourd’hui. Avant 2015 la Maison présentait en exclusivité un film d’une vingtaine de minutes qui, n’obéissant pas à la chronologie du procès, visait à relater ce qui s’était passé à Izieu du 6 avril 1944 jusqu’à la déportation et l’arrivée à Auschwitz du premier convoi comportant des enfants et des adultes de la Colonie. Privilégiant l’aspect humain et émotionnel et basé sur un montage de courts extraits de témoignages, il était l’unique outil pour matérialiser le procès auprès des visiteurs individuels et des scolaires. Il permettait d’aborder de manière synthétique l’importance de la justice et le rôle essentiel de ce procès pour les victimes comme pour l’ensemble de la société mais ne disait rien de la place d’Izieu dans le procès lui-même ni des débats qui avaient agité la salle d’audience et était peu explicite sur le fonctionnement et les différents acteurs du procès.

Un travail d’analyse du procès et de repérage des références à l’affaire d’Izieu mené dans le cadre d’un mémoire de master de l’Université de Poitiers1 a permis d’objectiver la demande et de projeter l’utilisation de ces images dans le nouveau parcours muséographique. Cependant en 2015 les images du procès Barbie n’étaient pas libres d’utilisation, il fallait dans un premier temps obtenir une dérogation auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce fut fait par l’intermédiaire de Me Klarsfeld, président du Conseil scientifique de la Maison, particulièrement attentif et disponible dans l’accompagnement du projet muséographique. La Maison d’Izieu a obtenu du Tribunal de Grande Instance de Paris, par ordonnance du 14 janvier 2015, l’autorisation de recevoir une copie des enregistrements audiovisuels des 22 audiences au cours desquelles l’affaire d’Izieu était évoquée.

Puis, la demande du musée a reçu un accueil des plus bienveillants de la part de l’Institut national de l’Audiovisuel qui gère pour le compte des Archives nationales de France la conservation et la mise en valeur du patrimoine audiovisuel national et, à ce titre, avait la responsabilité de fournir une copie des images. Une convention de partenariat culturelle a été très vite établie et la Maison a reçu une copie des images du procès concernant l’affaire d’Izieu. La question de la valorisation de ces images, du mode d’accès proposé, de leur médiation auprès des différents publics a été centrale dans la réflexion de l’équipe muséographique et, il faut le dire, continue d’interroger tant les possibilités d’utilisation peuvent être multiples.

Si l’on peut envisager et même souhaiter pouvoir offrir aux visiteurs avertis et passionnés la possibilité de visionner l’ensemble de ce corpus d’images au sein du centre de documentation par exemple, il est clair que cela est inapproprié pour un grand nombre de visiteurs et pour les groupes scolaires en raison du temps dont ils disposent sur le site et de l’austérité même des images. Le film est réalisé à partir de caméras fixes, le cadrage est parfois approximatif et le son par moments de piètre qualité. Il est vrai que les images animées captent l’attention aisément mais, dans le cas d’images documentaires plutôt « arides », cette attention se limite à quelques minutes au-delà desquelles le visiteur se détourne et passe à autre chose. Partant de ces paramètres le choix a été de présenter ces images sous deux formes:
– d’une part comme supports de narration dans la partie traitant de la construction de la justice pénale internationale. Les images permettent de matérialiser et d’expliquer de manière très pédagogique ce qu’est un procès d’assises, et particulièrement le procès Barbie. Cinq écrans thématiques (la cour d’assises, l’accusé et son avocat, les parties civiles et leurs avocats, les témoins, le verdict) présentent de cours extraits et offrent ainsi aux visiteurs un décodage des différents éléments constituant un procès.
– d’autre part au travers d’une application numérique spécifique développée à l’occasion des 30 ans du procès Barbie en 2017. Présentée sur quatre écrans tactiles elle permet, en quelque sorte, de pousser la porte de la salle d’audience et de suivre l’affaire d’Izieu tout au long du procès. Quand a-t-on évoqué la Colonie ? À quel propos ? Qui et de quelle manière ? Trois audiences ont été exclusivement consacrées à l’affaire d’Izieu, celles des 27 mai, 1er et 2 juin 1987 mais il en a été question tout au long du procès. Au fil des audiences, il apparaît clairement que l’affaire d’Izieu prend un caractère symbolique et devient l’élément central du procès. L’enlèvement des enfants d’Izieu était, emblématiquement, l’acte le plus représentatif de l’infraction de crime contre l’humanité.

Les images montrées ne font l’objet d’aucun montage, seules les attentes éventuelles dues aux procédures inhérentes au procès (extraction de l’accusé notamment) ont été ôtées. Elles sont chapitrées en courts extraits de quelques minutes et présentées dans l’ordre chronologique de leur déroulement ce qui permet de garder l’intégralité et le rythme naturel du discours. Des documents d’archives issus des fonds de la Maison d’Izieu, des Archives départementales du Rhône et de la Métropole, de la Bibliothèque municipale de Lyon et du Mémorial de la Shoah ainsi que des extraits de presse se rapportant à cette affaire viennent enrichir l’application. La grande majorité des documents est inédite. Il est proposé d’entrer dans cette application suivant deux accès: l’un chronologique avec Izieu au fil des audiences, l’autre thématique avec Témoignages et controverses. Enfin un troisième volet aborde la question de l’enregistrement audiovisuel du procès avec Filmer pour éduquer ?

Suivant le temps dont dispose le visiteur il peut choisir de s’attarder et de s’immerger totalement dans un approfondissement du procès mais la fluidité de la navigation, les chapitrages précis et la force des images permettent aussi une consultation courte voire un « zapping » sans pour autant laisser au visiteur le sentiment d’être « passé à côté » faute de temps.
L’un des avantages de cette application est de pouvoir être utilisée tant par les visiteurs individuels que par les groupes. Des ateliers spécifiques ont été créés pour les groupes professionnels en formation, notamment les policiers de l’ENSP, les futurs responsables administratifs de l’IRA ou encore les juristes du Collège de droit de l’université Lyon 3.

Par la valorisation de ce corpus d’images, la Maison propose une réflexion sur les questions d’histoire, de justice et de mémoire, interrogeant les visiteurs, qu’ils soient individuels ou en groupes, sur les résonances d’une telle réflexion dans le monde actuel. Elle assume ainsi ses missions d’information et d’éducation à destination de tous les publics sur le crime contre l’humanité et les circonstances qui l’engendrent.

1. Cécile Félix, « L’affaire des enfants d’Izieu dans le procès de Klaus Barbie » Mémoire de mas- ter en droit pénal et sciences sociales sous la direction de Michel Massé et Jean-Paul Jean, Poitiers, Faculté de droit et de sciences sociales, 2012, 103 pages.
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