L’OSE et les maisons d’enfants de la guerre

© Maison d’Izieu / Bibliothèque nationale de France / Coll. Sabine Zlatin

En France, plusieurs milliers d’enfants juifs sont passés dans les maisons de l’OSE, avant, pendant et après la guerre. Ces maisons ne représentent qu’une étape dans la stratégie de sauvetage mise en place par l’OSE dès 1938, et qui se prolonge jusque dans l’après-guerre.

1939 :
MONTMORENCY, LES PREMIÈRES MAISONS
L’OSE ouvre ses premières maisons d’enfants dans la région de Montmorency, pour accueillir des enfants d’Allemagne et d’Autriche arrivés en France après la Nuit de cristal. Plus de trois cents enfants d’origine sociale et religieuse différentes sont pris en charge par Ernst Papanek, pédagogue chevronné et militant juif de l’Internationale socialiste.

1939 :
FUIR LES BOMBARDEMENTS
Avec la déclaration de guerre en septembre 1939, l’OSE ouvre des maisons dans la Creuse et la Haute-Vienne, puis dans le Var, à Boulouris-sur-mer et Saint-Raphaël, afin de mettre à l’abri les enfants allemands et autrichiens devenus «ressortissants ennemis », organiser l’évacuation des enfants de juifs étrangers de la région parisienne pour les protéger des bombardements et accueillir les flots de réfugiés de Belgique.

EN ZONE OCCUPÉE, DISPERSER LES ENFANTS
En zone nord, l’OSE, en liaison étroite avec les Éclaireurs israélites, la WIZO, le Comité de la rue Amelot et le réseau clandestin de l’hôpital Rothschild, n’ouvre pas de maisons d’enfants. Le comité OSE-zone nord, constitué autour du Dr Eugène Minkowski, s’emploie à disperser les enfants à la campagne, recherchant des familles d’accueil, fournissant faux papiers et billets de transport et organisant si possible une surveillance par des assistantes sociales.

LES MAISONS DE ZONE SUD
En zone sud, l’OSE, devenue 3e Direction Santé de l’UGIF, suit la traque des Juifs. Sa direction nomade va à Vichy, Montpellier, Vic-sur-Cère, puis Chambéry. L’OSE ouvre ses dernières maisons d’enfants à Moutiers-Salins et Saint-Paul en Chablais, dans la zone italienne. Le Dr Joseph Weill, surnommé le prophète, et Andrée Salomon imaginent, prévoient et supervisent les grandes lignes de la politique de l’OSE à partir de 1941: organiser la vie dans les maisons, intervenir efficacement dans les camps, faire partir le plus possible d’enfants vers les États-Unis. L’OSE installe des centres médico-sociaux dans toutes les grandes villes et des bureaux là où se trouvent des réfugiés juifs. Les 14 maisons ouvertes entre 1939 et 1943 fonctionnent selon une stratégie complexe de vases communicants: certaines restent ouvertes plus longtemps que d’autres, les enfants passant de l’une à l’autre en fonction de l’âge et des dangers momentanés.

LA SORTIE DES ENFANTS DES CAMPS D’INTERNEMENT
Entre fin 1941 et août 1942, le nombre d’enfants confiés à l’OSE augmente de façon spectaculaire, Andrée Salomon coordonnant et organisant la sortie des enfants de Juifs étrangers internés dans les camps du sud de la France, Agde, Rivesaltes, Gurs, Nexon, Les Milles, Douadic. La plupart sont des enfants de Juifs étrangers, allemands, polonais, autrichiens, les enfants les plus âgés étant les plus exposés, car « déportables » et plus difficiles à cacher et à faire partir à l’étranger. Au total, 1394 enfants sont à la charge de l’OSE au 1er juillet 1942 et ce chiffre ne fera qu’augmenter.

L’APPORT ÉDUCATIF ET RELIGIEUX
Les premières maisons sont laïques, dirigées par des éducateurs antifascistes, idéalistes et enthousiastes qui ont su communiquer aux enfants leur optimisme et leur permettre de ne pas désespérer. Mais l’OSE ouvre également des maisons dites « de stricte observance », comme Broût-Vernet, Le Couret, Ussac, Poulouzat ou Saint-Paul en Chablais pour accueillir les enfants de familles pratiquantes, internées, dans lesquelles les enfants peuvent rester eux-mêmes et vivre une vie juive en toute liberté. Toutes les maisons ont cherché à donner aux enfants une instruction primaire ou secondaire, soit dans le village, soit en organisant des cours dans la maison même. Les potagers installés dans toutes les maisons permettent d’initier les enfants à des travaux collectifs, tout en améliorant le quotidien. Des ateliers d’apprentissage de menuiserie ou de cordonnerie ouverts par l’ORT ont donné aux plus grands une formation technique utile pour l’avenir.

LA FERMETURE DES MAISONS
Joseph Weill comprend le premier que les maisons d’enfants sont devenues des souricières. C’est lui qui demande à Georges Garfinkel dit Garel, inconnu jusque-là, de monter un circuit clandestin pour mettre à l’abri les enfants des maisons. En quelques mois, ce circuit fut opérationnel dans 4 grandes régions de la zone sud. Les maisons se vident à partir de 1943, pour fermer définitivement en février 1944. Suite à l’arrestation de tout le bureau de l’OSE à Chambéry, un télégramme codé envoyé par Alain Mossé fait basculer d’un coup l’organisation dans la clandestinité. Mais les dirigeants de l’OSE continuent à se retrouver dans les trains qui ne fonctionnent plus.

GEORGES LOINGER ET LA FILIÈRE SUISSE
À partir de 1943, au moment de la dispersion des maisons, Georges Loinger, animateur de sport dans les maisons, entre dans le réseau Garel, le circuit clandestin de l’OSE, avec comme surnom « Léo », en référence à Léo Cohn, le chef EI qu’il admire beaucoup. Il a carte blanche pour organiser une filière de passages d’enfants vers la Suisse. Il choisit Annemasse. Un travail d’une aussi grande ampleur n’aurait pu aboutir sans la bienveillance et la complicité des autorités locales: le maire d’Annemasse, Jean Deffaugt, fournit les adresses de passeurs sûrs, le centre du Secours national, dirigé par Monsieur Balthazar, héberge les enfants la nuit, et les cheminots ont installé au terminus de la gare une sortie spéciale intitulée « colonie de vacances », qui permet d’échapper tout à fait légalement au contrôle. Par l’intermédiaire de Marc Jarblum et Joseph Weill, les organisations juives obtiennent de Berne que les enfants de moins de seize ans ne soient pas refoulés. Les convois peuvent donc s’organiser, surtout à partir de l’année 1943. Après un séjour obligatoire dans un camp d’accueil, les enfants libérés sont pris en charge par des organisations ou des familles. Combien d’enfants sont passés illégalement ? Le chiffrage est difficile d’autant que chaque œuvre juive a ses propres passeurs. On évalue à près de 1200 les enfants évacués par cette filière toutes œuvres confondues. Georges à lui seul en a sauvé près de 350.

LES MAISONS D’APRÈS GUERRE
Elles se multiplient dès 1945 et l’OSE en ouvre 25, moitié en province, moitié dans la région parisienne pour accueillir les enfants cachés dans le but de les aider à grandir, de les aider à s’insérer dans la société et de les aider à trouver, retrouver une identité ou une filiation juive. Celle de Taverny, « de stricte observance », est ouverte au début de l’année 1946 pour accueillir « les enfants de Buchenwald », des jeunes déportés revenus de l’enfer, parmi lesquels se trouvait Elie Wiesel.

CONCLUSION
Un savoir-faire ancien, une grande adaptation aux évènements, telles sont les raisons de l’efficacité de l’OSE dans le sauvetage. Elle est avant la guerre la seule œuvre ayant l’expérience de maisons d’enfants et un personnel initié au travail social. La lucidité d’une partie de son personnel juif alsacien souvent issu des Éclaireurs israélites strasbourgeois et qui constitue pendant la guerre les cadres de l’organisation, explique le virage qu’elle a su prendre pour entrer dans la clandestinité. Ses liens organisationnels étroits avec l’Union OSE à Genève et avec l’Amérique, où l’OSE installe une antenne, expliquent le reste, et en particulier la maîtrise des sources de financement avec le Joint américain (AJJDC).

Katy Hazan est l’auteure de Les orphelins de la Shoah, les maisons de l’espoir, 1944-1960, Les Belles Lettres, 2003