Les révoltes de l’histoire juive

Si la révolte ne semble pas a priori être une marque forte de l’histoire juive, l’Histoire n’est pas pour autant dénuée de rébellions, dont certaines en changèrent le cours. Petit tour d’horizon.

© Jossef Krispel, Detail of Exchanges, Mistakes, Love, 2008, mural painting (not existing), Jaffa Bay – www.krispel.info

Pourim ou la révolte des Juifs de Perse (-355)

Nous sommes à Suse, en Perse. Le roi Assuérus a un vizir, Haman, lequel ne tient pas les Juifs en amour. Tandis qu’il complote pour faire signer au roi un décret ordonnant l’extermination de tous les Juifs de Perse, la jeune et belle Esther, accompagnée de son oncle Mordekhai, parvient à retourner la situation en informant le roi qui fait pendre le vil Haman et sa famille. Mais l’histoire ne s’arrête pas tout à fait là puisque les Juifs sont aussi autorisés à se venger et massacrent quelque 75 000 Perses.

Hanoukka ou la révolte des Maccabées (-168 à -140)

Alors que le monde juif vit de grandes tensions dans une Judée sous occupation séleucide (disons grecque), entre tentations d’hellénisation, traditionalisme et scandales de corruption (déjà !) autour de la fonction de Grand prêtre, Mattathias, fils de Yohanan le prêtre, refuse d’accomplir un sacrifice païen ordonné par un officier du roi et tue l’officier et un Juif qui vient de le faire. Depuis la montagne où ils sont réfugiés, les Maccabées (du nom du troisième fils de Mattathias, Judas Maccabée) mènent une guérilla autant contre l’occupant grec que contre les Juifs hellénisés. Ils enchaînent les victoires, à Beit Horon, Emmaüs, et même Jérusalem où le Temple est rendu au culte juif en 164, donnant naissance au récit de Hanoukka où une simple fiole d’huile suffit à nourrir le candélabre durant huit jours. L’histoire se termine par un accord entre les Maccabées et les hellénistes modérés.

La Grande révolte (66-73)

C’est l’historien romain originaire de Judée Flavius Josèphe qui raconte les prémisses de la première des trois guerres judéo-romaines. En 66, à la suite d’un conflit shabbatique, le procuratur Gessius Florus s’empare de 17 talents dans le trésor du Temple de Jérusalem. S’en suivent révoltes et répressions jusqu’à ce que les Juifs occupent l’esplanade du Temple. Éléazar, fils du Grand prêtre conduit la conquête de Massada et interdit les sacrifices païens. Bientôt, c’est toute la Judée qui s’embrase malgré les tentatives romaines de reprendre le dessus. Mais en 67, Vespasien et ses trois légions gagnent du terrain et occupent le nord de la Judée et la côte au sud de Jaffa. Tout ceci dégénère en guerre civile à Jérusalem où les zélotes assassinent les familles des prêtres pour placer leurs hommes. Et mi-69, la Judée, pour ainsi dire presque entièrement romaine, est confiée par Vespasien à son fils Titus qui assiège et détruit le Temple en août 70. En 73, c’en est fini de la poche de résistance de la forteresse de Massada : face à l’inévitable victoire des Romains, les rebelles mettent le feu au bâtiment, et la légende veut qu’ils se suicident en masse, une théorie depuis mise en doute par les historiens.

La Guerre de Kitos ou révolte des exilés (115-117)

En l’an 115, tandis que l’empereur romain Trajan s’affaire à combattre les Parthes autour de ce qui est aujourd’hui l’Arménie, les Juifs du pourtour méditerranéen se révoltent contre les Romains. Il faut dire que Trajan se rêve alors en nouvel Alexandre-le-Grand et grappille petit à petit du terrain jusqu’au golfe persique. Mais les Juifs de Baylonie se souviennent que c’est le Romain Titus qui a détruit leur temple à Jérusalem et n’entendent pas laisser l’équipée se dérouler sans accroc. Les villes à majorité juive s’embrasent dans tout le bassin, les temples païens sont détruits, les habitants grecs et romains massacrés. Lusius Quietus (ou Kitos, du nom de la guerre) devient gouverneur de Judée et mate la révolte avec la plus grande cruauté, avant de faire installer une statue de l’empereur sur les ruines du Temple. Les Juifs n’ont donc pas gagné, mais ils ont empêché la conquête romaine de l’empire parthe. Na !

La révolte de Bar Kokhba (132-135)

Shimon Bar Kokhba, un Juif de Judée, vit très mal la décision de l’empereur Hadrien de rebâtir Jérusalem comme une ville romaine et l’interdiction de la circoncision. En 132, il lève une armée, proclame un État juif en Judée et fait même frapper sa propre monnaie. Si les Juifs commencent par écraser une légion romaine, ce sont bientôt huit légions qu’envoie Rome pour pratiquer la politique de la terre brûlée, détruisant près de mille villages judéens. Replié dans la forteresse de Betar, Bar Kokhba est tué avec tous ses compagnons. Hadrien fait raser Jérusalem et l’interdit aux Juifs.

La révolte contre Constance Gallus (351-352)

Non content de favoriser le christianisme au judaïsme, l’empereur Constance II autorise aussi les Chrétiens de la place à persécuter les Juifs. Isaac de Sepphoris parvient à rassembler des hommes, détruire la garnison romaine et s’emparer des armes. Mais la révolte fera long feu, réprimée dans le sang par Ursicinus qui fait exécuter des milliers de rebelles.

La révolte contre Héraclius (613)

Les Juifs étaient persécutés par les Byzantins et se révoltaient souvent comme à Antioche, Tyr et Akko en 610, révoltes qui aboutissaient généralement sur un massacre des rebelles. En 613, au cours de la guerre qui oppose les Perses aux Byzantins, le général perse Shahrbaraz mène ses troupes appuyées par les forces juives de Nehemiah ben Hushiel et Benjamin de Tibériade sur Jérusalem qui est rapidement conquise. Mais bientôt, les Chrétiens de la ville s’en prennent aux Juifs de retour et massacrent à tours de bras. Des Juifs de toute la région et jusqu’à Chypre s’unissent alors en une armée de 20.000 hommes qui prend la route de Tyr pour une expédition punitive contre les Chrétiens de la ville. Mais ils échouent et les 4.000 Juifs de Tyr sont retenus captifs. L’armée juive détruit les églises alentour, et les Chrétiens massacrent la moitié de leurs otages. En 628, Byzance gagne la guerre contre les Perses, reprend Jérusalem, massacre jusqu’à plus soif et entame une longue période de persécutions contre les Juifs et les Samaritains. En 638, les Arabes prennent Jérusalem.

Les révoltes de la Shoah (1941-1945)

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les Juifs se seraient soumis aux nazis sans se rebeller, les actes de résistance, les sabotages et les révoltes armées furent nombreux durant la Shoah. On pourrait rappeler d’abord, avec l’historien Georges Bensoussan, que « survivre est la première des forces de résistance ». On pourrait évoquer les organisations juives clandestines de sauvetage des enfants, les nombreux Juifs impliqués dans la résistance armée en France, en Belgique et en Slovaquie, ou parmi les partisans de Biélorussie, d’Ukraine et de Pologne. Citer aussi les actions clandestines d’Emmanuel Ringelblum et du groupe Oyneg Shabbos dans le ghetto de Varsovie pour documenter la persécution, le soulèvement du même ghetto en 1943, les révoltes des camps de Sobibór et Treblinka, ou du Sonderkommando d’Auschwitz II qui fit sauter les crématoires III et IV à Birkenau, également en 1943. Pour en savoir plus, nous vous invitons à lire l’entretien avec Annette Wieviorka dans ce numéro.

L’insurrection juive en Palestine mandataire (1938-1948)

Depuis que les Britanniques ont publié, en 1939, leur Livre blanc ou Déclaration de politique générale sur la Palestine qui limite drastiquement l’immigration juive et interdit quasiment l’acquisition de terres par les Juifs, des organisations sionistes se mettent en ordre de marche pour lutter contre le colonisateur. Alors que la guerre tarde à se terminer en Europe, l’Irgun, une organisation dissidente de la Hagana (la plus vaste organisation militaire juive en Palestine, qui coopère alors avec les Anglais), se joint en 1944 au mouvement Lehi qui n’a cessé de combattre les Britanniques même durant la guerre. Ils attaquent la police et les autorités, mais pas les militaires qui combattent encore les nazis en Europe. À l’automne 1945, la guerre est finie, aussi bien en Europe qu’en Asie mais il devient évident que les Britanniques ne relâcheront pas les restrictions sur l’immigration juive. La Hagana se joint à la rébellion, s’attaquant principalement aux infrastructures de l’immigration tandis que l’Irgun et Lehi attaquent plus frontalement les autorités et les installations, par des attentats à la bombe et des exécutions. Dans le même temps se déroule l’alyiah beth, l’immigration clandestine de milliers de Juifs en Palestine, tentant de contourner le blocus britannique – ce que seule la moitié des 142 navires parviendra à faire. Lorsqu’ils sont interceptés par les Anglais, on assiste à des scènes aussi odieuses que révoltantes, comme le cas emblématique de l’Exodus, en 1947, où les 4 515 Juifs entassés sur un bateau fait pour contenir 540 passagers, souvent survivants des camps nazis, sont interceptés par la Royal Navy et renvoyés sous escorte en Europe pour être internés dans des camps en Allemagne, à Lübeck, Amstau et Poppendorf. En novembre 1947, l’ONU vote la résolution de partage de la Palestine et la guerre judéo-arabe débute, laissant quelque répit aux Anglais. Le 14 mai 1948, les sionistes ont remporté cette lutte : l’État d’Israël est proclamé par David Ben Gourion.