Les vins israéliens

Vous vous souvenez du vin (trop) doux pour le kiddoush, dont la bouteille retournait au réfrigérateur une fois le rituel hebdomadaire accompli, avant d’être ressortie le vendredi suivant ? Jusqu’à une période récente, on associait le vin israélien à un commandement religieux mais certainement pas à une expérience œnologique. Qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon, estampillé kasher. Mais pourquoi célébrer le Shabbat et les fêtes avec de la piquette sucrée ? Et pourquoi ne pas faire du nectar de la vigne un plaisir gustatif aussi en dehors du calendrier juif ?

© Shahar Marcus and Nezaket Ekici, Salt Dinner, 2012, video, 3.14 mins.
Photo by Maya Elran
Courtesy of the artists and Braverman Gallery, Tel Aviv

La première exploitation viticole, Carmel, fut établie en 1882 à Rishon LeTzion et Zikhron Ya’akov grâce au Baron Edmond de Rothschild, propriétaire du domaine Château Lafitte-Rothschild à Bordeaux. Carmel reste le premier producteur de vin d’Israël. À l’époque, peu de diversité, une qualité variable, mais une quantité importante pour répondre aux besoins sacramentels. C’est seulement dans les années 1990 que des viticulteurs et œnologues israéliens se sont intéressés sérieusement à développer la viticulture locale sur trois fronts: formation de pointe à l’étranger; diversification des cépages; et développement de la viticulture dans tout le pays, y compris dans le Néguev et le Golan.

La formation, d’abord : des Israéliens sont partis apprendre le métier en France, en Australie et en Californie, mais des experts de ces régions sont aussi venus en Israël pour conseiller quant au développement de nouvelles technologies. La première exploitation viticole « boutique » (c’est-à-dire produisant moins de 80000 bouteilles par an), Margalit Winery, est établie en 1989. À partir de là, d’autres viticulteurs se lancent dans des régions du pays encore inexploitées pour la vigne : la Galilée (y compris le plateau du Golan), dont l’altitude, le vent, la température et la richesse du sol présentent des conditions idéales (41 % de la production); la région de Jérusalem et les collines de Judée (10 %); la région de Samson (Shimshon), située entre les collines de Judée et la plaine côtière (27 %); Shomron, la région historique autour du Mont Carmel et de Zikhron Ya’akov (17 %); le Néguev, un désert semi-aride qui a verdi grâce à l’irrigation au goutte-à- goutte (5 %). Au total, ce sont 5500 hectares qui sont dévolus à la viticulture. Au développement géographique favorisé par des conditions climatiques exceptionnelles s’est ajoutée l’inventivité technologique : outre l’irrigation ultra-précise, un savoir-faire importé et la diversification des cépages. Si le vin doux et bon marché de votre enfance était constitué de Carignan et Colombard, les vins d’aujourd’hui font écho aux variétés connues de partout, comme le cabernet sauvignon (19 % de la production), le merlot (12 %), le chardonnay et le sauvignon blanc. La recherche et l’expérimentation ont permis de développer en outre des cépages intéressants, comme la syrah, le petit verdot, ou la petite syrah (durif). La proportion de vin rouge est écrasante à 65 %, contre 15 % pour le blanc, 8 % pour le mousseux, 2 % pour le rosé et 11 % pour le vin doux (on ne change pas les habitudes séculaires…). Il faut dire que la consommation annuelle israélienne reste relativement modeste : 5 litres par habitant (contre 43 en France).

D’après le site wines-israel.com, Israël comptait, en 2018, soixante-dix exploitations viticoles importantes (dont douze produisent plus de 95 % du vin israélien, mais pas nécessairement le meilleur). Le nombre de petites exploitations « boutique » a explosé, avec plus de 250 noms. Et aujourd’hui, ce sont ces petits producteurs qui font le meilleur vin, celui qui gagne des médailles aux concours internationaux de dégustation, celui qui décroche les meilleures notes dans les guides de Robert Parker ou d’Oz Clarke et qui reçoit les faveurs des menus dans les restaurants étoilés des chefs israéliens. Ces petits labels commencent à se faire connaître à l’étranger car ils font partie des 20 % de la production totale qui est exportée (un chiffre d’affaires annuel de 50 millions de dollars en 2018, contre 8,01 millions en 2001). Plus de la moitié des exportations de vin israélien partent en Amérique du Nord (États-Unis et Canada), puis en France, au Royaume-Uni, en Pologne, en Allemagne et… en Asie.
Et la kashrout dans tout ça ? Aujourd’hui, 95 % des vins israéliens sont kasher, c’est-à-dire qu’ils sont produits sous surveillance rabbinique jusqu’à la mise en bouteille. Mais seuls 10 à 15 % du vin produit est fabriqué à des fins strictement religieuses, avec le certificat mevoushal, c’est-à-dire « cuit », puisque le vin est chauffé à 100 degrés centigrades l’espace d’un instant. Son goût est nettement altéré par ce processus de pasteurisation mais il est réservé à des buts sacramentels (fêtes et célébrations religieuses). Il vise une clientèle religieuse qui exige aussi que le vin mevoushal soit servi par des Juifs religieux. C’est un petit marché, tenu par les gros producteurs, qui maintient ses caractéristiques propres et qui n’est pas affecté par les visions entrepreneuriales et gastronomiques des nouveaux venus sur la scène du vin de qualité supérieure pour les palais raffinés.
Alors, pour votre prochain dîner, si vous essayiez un petit verdot du Neguev ?