Quelle place pour les femmes ?

Élu en juin dernier au poste de Grand rabbin de France, Haim Korsia avait fait campagne en partie sur la nécessité de rendre aux femmes la place qui leur revient dans la vie communautaire. Pour la première fois, un Grand rabbin de France s’exprime dans les colonnes de Tenou’a, en dialogue avec les autres composantes du judaïsme français qui s’y côtoient depuis longtemps. Quel regard porte aujourd’hui le Consistoire sur la place des femmes dans le monde juif ?

Quelle est votre lecture de la bénédiction matinale « qui ne m’a pas fait femme » Shelo assani Isha ? L’homme se réjouit- il de ne pas avoir été créé femme ? Certains commentateurs traditionnels y voient une supériorité essentielle de l’homme dans l’accomplissement des mitsvot et d’autres, au contraire, la reconnaissance d’une élévation spirituelle féminine particulière… qu’en dites- vous ?

Une bénédiction est un appel à se dépasser, à constater une situation et à vouloir aller plus loin. Les hommes remercient l’Éternel de se voir obligés d’accomplir les commandements auxquels les femmes ne sont pas soumises. Or, le Talmud affirme que le mérite de quelqu’un qui réalise une chose à laquelle il est obligé de se soumettre est plus grand que celui qui la réalise sans y être obligé. Les femmes remercient l’Éternel d’avoir fait selon Sa volonté et rien n’interdit de penser que la volonté de D.ieu est idéale. En fait, cette question de bénédiction est un faux problème qui cache de réelles questions qui doivent plus à des habitudes ou à des impossibilités de penser les choses autrement qu’à la règle religieuse.

Le thème des femmes et de leur place dans la communauté a été au cœur de votre projet, dans la campagne qui a précédé l’élection. Comment concrètement ce souci va-t-il être aujourd’hui mis en œuvre ?

La place des femmes dans la communauté ne devrait plus être une question. C’est cela mon objectif réel : faire en sorte que l’évidence, la normalité, soit la règle ; que plus personne ne se demande comment célébrer une bat mitsva, si les cours sont ou non mixtes, si une femme peut ou non être administratrice ou présidente de communauté.

LA PLACE DES FEMMES NE DEVRAIT PLUS êTRE UNE QUESTION

C’est ce que j’ai voulu signifier, par exemple, en me rendant en province pour mon premier shabbat plein après mon élection, dans la très belle communauté de Bayonne- Biarritz, qui a la particularité d’être présidée par une femme, Caroline Bentolila. C’est une présidente remarquable, non pas par ce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle apaise les tensions, lance des projets et porte la mémoire et l’histoire de sa belle communauté. Par ailleurs, l’étude des textes de la Bible, du Talmud et de tous les commentateurs est essentielle à une époque où je retrouve des jeunes filles présentes dans toutes les grandes écoles. C’est ce que fait remarquablement le Beit Midrash Lenashim de Joëlle Bernheim, l’institution où les femmes découvrent des textes merveilleux et les approfondissent. J’ai participé à la clôture de l’année et j’y ai beaucoup appris. Ce n’est pas un cas unique, puisqu’à Lyon, un même mouvement a vu le jour et dans d’autres villes, des femmes participent à des cours existants. Je tiens d’ailleurs à préciser que lorsque j’étais élève à l’École rabbinique, le cours de Talmud du Grand Rabbin Chouchena accueillait une femme, qui avait toute sa place dans ce cénacle.
Le passage biblique mentionnant les filles de Tsélofhad (Nombres, 26:7), « Les filles de Tsélofhad ont raison de parler », est fondamental. D’aucuns le traduisent comme l’expression de demandes par celles-ci de bénéficier de l’héritage de leur père. Il est aussi possible d’élever ce verset comme universel qui réaffirmerait la légitimité des demandes et des expressions des femmes. La limite, demeure à mes yeux la Halakha, telle que comprise dans le judaïsme consistorial. Ainsi, la mehitsa (séparation des hommes et des femmes pendant l’office), pour obligatoire qu’elle soit, n’est pas un moyen de reléguer les femmes à l’arrière de la synagogue et en dehors des préoccupations de l’office. Lors des shabbatot pleins que j’organise avec les étudiants, j’ai toujours souhaité que la mehitsa puisse se faire de sorte à ce qu’hommes et femmes soient aussi proches du Séfer Torah et que ces dernières ne se sentent pas minorées.

Envisager les choses plus largement, comme en choisissant un homme et une femme comme médiateurs, peut paraître une évidence, mais cela doit être fermement défendu. De ce point de vue, je note avec plaisir, qu’à la suite de l’OSE, qui est la première grande institution juive à être dirigée par une femme, Patricia Sitruk, le CASIP-COJA- SOR a recruté Karene Fredj. En fait, nous entrons dans la normalisation.

Le statut traditionnel des femmes dans le judaïsme est-il amené à être repensé, réinterprété ? N’est-il pas un anachronisme ? le reflet d’un temps passé où la femme n’était jamais un sujet autonome, toujours dépendante d’un autre homme, père ou mari ?

Il ne s’agit pas d’une “réinterprétation”, car la Halakha porte en elle l’intelligence du temps et, par définition, elle répond à nos interrogations contemporaines. Cette lecture sous le prisme de la société dans laquelle nous vivons, est au cœur du défi à la modernité qu’incarne la sagesse des rabbins. Ces derniers ont proposé un modèle de vie qui, parce qu’intemporel, ne peut pas se démoder. Cependant, rien n’interdit de poser les questions, à l’image des filles de Tsélofhad. L’interprétation de la Halakha et des responsa des Sages nous permet, chaque fois, de trouver un équilibre harmonieux et qui fait sens. L’égalité est essentielle, elle est prônée par tous, mais dans les faits, elle n’est que toute relative (traitement salarial, accession à certains emplois…). L’évolution des sociétés est lente, comme le montre le temps qu’il a fallu en France pour obtenir le droit de vote des femmes, pour permettre la possession d’un compte bancaire sans tutelle du mari et tant d’autres combats menés avec patience et obstination. Il importe donc de promouvoir l’égalité, dans la sphère publique comme dans le judaïsme, en s’appuyant sur le temps et en ouvrant des perspectives. C’est le projet que j’ai défendu en tant que candidat au poste de Grand rabbin de France et que je m’efforcerai au quotidien de mettre en œuvre, toujours dans le respect de la Halakha.
Pour autant, donner toute sa place à une femme, ce n’est pas effacer la différenciation sexuelle et prôner un égalitarisme parfois ridicule. Il est légitime de parler de complémentarité, de sensibilités différentes, sans tomber dans les clichés, et le judaïsme a ce génie de savoir trouver l’unicité de chacun et la complémentarité nécessaire afin de retrouver l’image divine.

Dans de nombreuses synagogues aujourd’hui, aucun rituel ne permet aux jeunes filles de marquer leur entrée dans l’âge des responsabilités (bat mitsva), comment comprendre cette réticence, cette différence de traitement ?

Cette situation est inadmissible. J’entends harmoniser les procédures au niveau national. Les fidèles comme les conseils d’administration sont en droit de demander partout en France, la célébration d’une cérémonie permettant aux jeunes filles de marquer leur engagement au service de la communauté et de grandir grâce à l’enseignement qu’elles reçoivent dans les écoles ou les Talmudé Torah.

Judaïsme et féminisme peuvent-ils cohabiter ?

Cette question est un non-sens ! Adam et Ève nous montrent, comme l’affirme la Genèse, « qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Et il ne s’agit pas simplement de solitude, mais de recherche de l’altérité. Sarah, Rachel, Léa, toutes les matriarches et les femmes de la Bible nous assènent la preuve irréfutable de leur engagement pour transformer le monde en une espérance un peu plus belle que ce qu’elle était auparavant. J’ose même dire que le judaïsme ne serait rien sans les femmes, au propre comme au figuré.

Je n’irai pas mettre en avant le fait que la judaïté s’acquiert par la mère, mais il y a là quelque chose qui pousse à comprendre la complémentarité masculin-féminin comme une nécessité absolue, car si c’est notre mère qui nous fait juif, c’est avec le nom de notre père que nous sommes appelés à la Torah.

Cet entretien a été réalisé par écrit début septembre 2014