sans tombe où se recueillir

ÉTAPE 6: LA TOMBE VIDE DE SRUL RUGER

© Ethel Buisson

Cimetière de Saint-Martin-d’Hères, Isère

Les sépultures sont utiles à l’échelle d’une ou plusieurs générations pour assumer le deuil des proches. Sans une tombe ou une urne, il n’y aurait pas de rendez-vous avec le mort ni de possibilité de poursuivre avec lui le dialogue et de l’honorer par le dépôt de fleurs ou de prières. L’être aimé est encore là, à quelques pas dans un cimetière où il attend que nous lui rendions visite plus ou moins régulièrement ; c’est rassurant et peut-être dérisoire, si l’on sait que les tombes anciennes sont pillées par les archéologues, que les seules sépultures de la Haute Antiquité, les pyramides, sont vides et que les morts de notre pays, sauf les célébrités préservées comme attractions touristiques et les grands hommes (et femmes) panthéonisés, finiront dans des fosses communes ou dans des catacombes.

Les orphelins de la Shoah n’ont pas eu de tombes où se recueillir ; ou bien ils ont inscrit les noms de leurs morts sur des caveaux de famille et d’amicales où sont enterrés leurs proches décédés depuis la Shoah; ou bien leur Mémorial de la déportation s’ouvre à la page si souvent lue depuis 1978 et où ils ont découvert le nom du disparu si longtemps resté anonyme; ou bien ils vont au Mémorial de la Shoah devant le Mur des Noms (2005) ; ou bien ils entrent dans les écoles où sont inscrits sur une plaque les noms de leurs frères et soeurs qui fréquentaient l’établissement ; ou bien ils vont en Israël à Roglit où notre Mémorial de la Déportation (1981) porte les noms, prénoms, âges, dates et lieux de naissance et commune d’arrestation de toutes les victimes de la Shoah en France; ou bien ils pianotent sur internet sur les sites de Yad Vashem ou du Mémorial de la Shoah ou de notre cartographie. Ainsi vont-ils à la rencontre de leurs morts enfouis dans ces sépultures communes de papier, de pierre ou de réseaux informatiques où les visages des morts leur parviennent à la vitesse de la lumière à travers les satellites et l’espace sidéral. Ils ont tout pouvoir aussi pour simplement fermer les yeux et revoir ceux qu’ils ont aimés et qui les ont aimés. quand s’éteindra cette génération qui a connu la Shoah et qui en a magistralement dressé le bilan à tout point de vue, le problème des sépultures ne se posera plus. Les héritiers de ces générations d’adultes ou d’enfants traqués dans cette gigantesque chasse aux Juifs, ce seront les centres de documentation et Mémoriaux qu’ils ont créés dans tous les pays où s’est déroulée la Shoah ainsi qu’en Israël, aux États-Unis et également dans les autres pays qui ont une conscience et qui ont conscience de ce que signifie la Shoah.