Sauver les enfants à tout prix

© Maison d’Izieu / Coll. Succession Sabine Zlatin

Izieu, avant d’être le nom d’une tragédie criminelle, fut celui d’un refuge. Depuis l’été 1942, la France de Vichy livre les Juifs de la zone sud non occupée aux nazis et obtient même des Allemands l’autorisation de déporter les enfants juifs, jusqu’alors exclus des convois. De nombreuses familles sont internées dans les camps du sud de la France. L’Œuvre de Secours aux Enfants est présente dans ces camps et s’organise, comme d’autres organisations de secours, pour faire sortir autant d’enfants que possible de ces antichambres de la déportation et garantir leur accueil et leur hébergement à l’extérieur. Mais les maisons d’enfants ou lieux de refuge, comme le sanatorium que dirige l’assistante sociale Sabine Zlatin, ne sont plus sûrs. Les arrestations et les rafles poussent les responsables des œuvres à en fermer la plupart.

En novembre 1942, à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, la « zone libre » est envahie par les Allemands. La situation pour les Juifs devient encore plus critique. Les quelques départements à l’est du Rhône tombent, eux, sous occupation italienne. Or les Italiens ne pourchassent pas les Juifs dans leur zone d’occupation. Au printemps 1943, depuis la Préfecture de l’Hérault, Roger Fridrici met en contact Sabine Zlatin et Pierre-Marcel Wiltzer, sous-préfet de Belley, dans l’Ain, pour organiser la création d’une maison refuge. En mai, la « Colonie des Enfants Réfugiés de l’Hérault » ouvre légalement ses portes à une quinzaine d’enfants juifs. « Ici, vous serez tranquilles », dit le sous-préfet Wiltzer aux époux Zlatin.

Au quotidien c’est Miron Zlatin, le mari de Sabine, qui gère l’intendance. Sabine poursuit ses activités de sauvetage à Montpellier et rejoint régulièrement la colonie. En septembre 1943, l’Italie capitule et les Allemands prennent possession de sa zone d’occupation.
À Izieu, malgré tout, la vie s’organise, une institutrice est recrutée. De plus en plus d’enfants arrivent, certains repartent aussi, vers d’autres maisons d’accueil, chez des proches ou sont exfiltrés vers la Suisse toute proche. En tout, au moins 105 enfants seront passés dans cette maison et jusqu’à 67 y auront vécu en même temps. La colonie accueille même quelques enfants non juifs pour des raisons sociales. Le confort à Izieu est spartiate: ni eau courante, ni chauffage et la colonie ne dispose que d’une quarantaine de cartes d’alimentation pour tous ses occupants

Début 1944, les choses se gâtent: le médecin juif de Sabine Zlatin, le docteur Bendrihem, est arrêté et la Gestapo perquisitionne les locaux de l’Union générale des Israélites de France à Chambéry, dont dépend la colonie d’Izieu. Le 6 mars, le sous-préfet Wiltzer est muté dans la Vienne. Fin mars, 18 enfants sont arrêtés dans une maison-refuge de l’Isère. Face à l’intensification des persécutions antisémites, début avril, Sabin Zlatin part à Montpellier pour tenter de trouver des solutions pour disperser les 45 enfants qui se trouvent alors à Izieu.

Le 6 avril 1944, Klaus Barbie, à la tête d’hommes de la Gestapo et de la Wermacht, investit la maison d’Izieu où se trouvent alors les enfants et huit adultes. Sabine Zlatin qui se trouve à Montpellier est avertie par un télégramme de Marie- Antoinette Cojean, secrétaire de la sous-préfecture de Belley : « Famille malade – maladie contagieuse ».

Un adulte, Léon Reifman parvient à s’échapper et à se cacher grâce à l’aide de fermiers voisins. Tout le monde est chargé sans ménagement dans deux camions. Miron Zlatin est battu devant les enfants. Sur la route qui descend, les voisins entendent les enfants chanter « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ». Le seul enfant non-juif, René-Michel Wucher, 8 ans, est libéré lors d’une halte dans un village en contrebas d’Izieu.

Le 7 avril 1944, les 51 personnes arrêtées sont transférées de la prison de Montluc à Lyon au camp de Drancy. Entre le 13 avril et le 30 juin, 42 des enfants et 6 adultes sont déportés à Auschwitz par les convois no 71, 74, 75 et 76. Tous, à l’exception de Léa Feldblum, sont assassinés immédiatement à leur arrivée au camp de Birkenau. Deux adolescents et Miron Zlatin sont déportés vers l’Estonie par le convoi 73, où ils sont assassinés. Des 51 personnes déportées, seule Léa Feldblum, éducatrice de la colonie, survivra à Auschwitz et aux expérimentations médicales qu’elle y a subies. Elle porte le matricule 78620.

*
Sabine et Miron Zlatin

Sabine Zlatin est née Chwast en 1907 à Varsovie. Après un périple de cinq ans à travers l’Allemagne et la Belgique, elle arrive à Nancy en 1925, où elle rencontre un jeune étudiant juif, Miron Zlatin, né en 1904 à Orcha (aujourd’hui en Biélorussie). Ils se marient et, en 1929, se lancent dans l’élevage de volailles. Ils sont naturalisés français en 1939. Sabine devient infirmière militaire auprès de la Croix-Rouge en 1939. Le couple s’enfuit à Montpellier en 1940 devant l’avancée allemande. Sabine y exerce comme infirmière de la Croix-Rouge jusqu’à ce qu’elle en soit empêchée par les lois antisémites de Vichy. Elle rejoint alors l’OSE comme assistante sociale et participe au sauvetage d’enfants des camps d’internement de la zone sud. Arrêté à Izieu le 6 avril 1944, Miron Zlatin est déporté vers l’Estonie par le convoi 73 du 15 mai 44. Il est assassiné par les SS en juillet.
Après la rafle d’Izieu, Sabine Zlatin rejoint la Résistance à Paris. À la Libération, elle devient hôtelière-chef du Lutetia où sont accueillis les déportés de retour des camps.
En 1987, Sabin Zlatin témoigne lors du procès de Klaus Barbie. « Pour le crime odieux d’Izieu, il n’y a ni pardon, ni oubli », dit-elle notamment à la barre. L’année suivante, aidée de Pierre-Marcel Wiltzer, elle fonde l’association pour la création du Musée- mémorial d’Izieu. Le 24 avril 1994, le Musée-mémorial des enfants d’Izieu est inauguré par le président François Mitterrand. Sabine Zlatin est morte le 21 septembre 1996 à Paris. Elle a légué à la Maison d’Izieu tous ses biens et ses archives.