Sémite je suis

Avner Ben Gal, Look at te mirror, 2018 Courtesy Givon Art Gallery, Tel Aviv

Il y a des mots qui me sont désagréables. À l’oreille, et en pensée. Que je n’aime ni lire, ni écrire, et alors surtout que je n’aime pas entendre ou prononcer. Je ne me l’explique pas, et ce n’est, d’aussi loin que je puisse pousser l’introspection, ni lié à une honte ou à une gêne. Non, c’est juste comme ça.

Le mot sémite est de ceux-là. Sa sonorité est hypocrite: elle commence doucereusement et s’achève par un couperet, sec et lâche. Inachevé. Et, chose drôle, l’étrangeté de ce mot finit pour moi par faire écho à son sens. Lui aussi inachevé, lui aussi, une hypocrisie. Car, si au commencement, le Sémite a été créé pour des besoins philologues, il a très vite été détourné et sert souvent un langage douteux et essentialisant. Or, nous ne l’avons pas choisi ce nom dont on nous affuble, par lequel on nous désigne que l’on soit séfarade ou ashkénaze – que ces derniers l’acceptent ou non d’ailleurs.

Pour cette seule raison, il convient de se l’approprier. Il convient de se le répéter:
Je suis sémite. Je suis un Sémite. Je suis le Sémite au grand et gros nez, et pointu et tordu et crochu; je suis le Sémite fourbe, x, le Coco du sentier, le Picsou en habit noir et schtreimel; je suis le Sémite qui mange des poissons farcis aux enfants (et des boulettes), quand il ne contrôle pas le monde. Et, plus encore, ce qui fait de moi une Sémite, par-dessus tout cela, ce sont mes cheveux. Les cheveux de ma famille, les cheveux des générations avant moi, les cheveux de ma mère. Et même quand ceux-ci sont tombés, les uns après les autres, et qu’elle n’en avait plus. Et pourquoi? Parce qu’ils ont fini par repousser. L’un après l’autre, plus robustes, plus épais, noirs, par dizaines de milliers, comme les Juifs eux-mêmes. Parce que c’est justement cette incroyable faculté de résilience qui nous dépasse et nous caractérise tous.

Que nous soyons honnêtes ou vils, que nous croyons ou non, que nous vivions grand train ou que nous ayons été engendrés dans la mort, là où est le Sémite il y a de la vie. Avec ou malgré elle. Même quand on est juif à moitié, ou entièrement, ou par choix, ou par dépit. Nous, Sémites, plaçons dans le monde cet espoir infini et millénaire, quand bien même celui-ci nous rejette. Cela nous y lie et y maintient indéfiniment, au grand dam de nos détracteurs, les antis.

Ainsi, avec une grande joie je vous l’écris et vous l’assure, il y aura toujours, quelque part, un Sémite, un Juif, vivant, qui continuera à faire chier le reste du monde.