#ville

© Tali Navon, Tholos, Oil and graphite on dibond, 2022
Courtesy of the artist and Almacén Gallery, Jaffa

L’inachèvement perpétuel des métropoles

En 2007 après l’inauguration du premier tronçon du tramway des Maréchaux que j’avais conçu et réalisé, je fus contacté par une personne me demandant si je voulais contribuer à implanter un Erouv 1 sur le Boulevard des Maréchaux à partir des fils électriques du tramway. Ce n’était pas une blague mais j’ai refusé cette invitation qui me paraissait peu appropriée.

On m’avait contacté car j’avais écrit un petit ouvrage sur l’espace juif 2 traitant des marqueurs de l’espace juif Souccah, Mezouzah, Erouv suite à ma réalisation d’une souccah au MAHJ.

La distinction entre espace privé et espace public m’intéressait particulièrement car je travaillais sur le vide des villes qui représente comme le souligne Jean-Pierre Vernant la matrice de la démocratie. Dans le Talmud la ville est décrite comme «possibilité de la non-violence car c’est le lieu de l’échange de la parole» ce qui atteste d’une lecture passionnante de l’espace public

Un point particulier du traité Erouvin m’a intéressé : le fait que les règles rigoureuses visant à permettre la portée d’objets dans des limites de l’Erouv puissent être détournées à l’infini grâce à l’Erouv Tehumim consistant à placer suffisamment de nourriture toutes les 1 000 coudées (environ 1 km). Glükel Hameln (1629-1719), une commerçante, raconte dans ses mémoires 3 comment elle a pu parcourir de longues distances sans jamais quitter son espace privé.

On peut interpréter ce détournement des règles de l’Erouv comme l’intuition que les villes traditionnelles sont appelées à croître sans limites.

Les villes anciennes se caractérisent par la continuité du tissu urbain et leur dimension sédimentaire, matrice de la mémoire collective. Les utopies urbaines du xxe siècle ont condamné la rue, ce faisant elles ont généré une extension des territoires urbanisés sous la forme de deux modèles, les grands ensembles et l’habitat pavillonnaire, caractérisés par la séparation des fonctions habiter, travailler, circuler engendrant l’absence et la discontinuité des espaces publics.

Les métropoles contemporaines, cadre de vie du xxie siècle, nous invitent à trouver une représentation partagée les décrivant et à réinventer un espace public.

À ce titre, il faut admettre que les métropoles se caractérisent comme une forme sans limites en inachèvement perpétuel. La ville de demain est déjà là ; il faudra bâtir la ville sur la ville. Doit-on, peut-on, inventer un Erouv immatériel à l’échelle des métropoles pour y réinventer le vivre ensemble ?

1.Démarcation rituelle d’un territoire, souvent un secteur d’une ville, pour qu’il constitue selon la loi juive un seul domaine qui permet de transporter des objets à l’extérieur durant shabbat.
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2.L’Ombre, le seuil, la limite, Réflexions sur l’espace juif, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, Paris, 2006
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3.Mémoires, Glücke Hameln (1629-1719), Traduction Léon Poliakoff, Aleph, Éditions de Minuit
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