Antonietta, de Gérard Haddad

Conseil lecture

Lettres à ma disparue

Éditions du Rocher, 2021, 16,90  €

« Il est un temps pour tout et chaque chose à son heure sous le ciel. Il est un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour déraciner ce qui fut planté, un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour démolir et un temps pour bâtir, un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser… »

Peu de gens connaissent mieux ces versets de l’Ecclesiaste-Qohelet que Gérard Haddad. Il les a étudiés et traduits, avec toute l’intelligence de l’exégète qu’il est.

En lisant le bouleversant hommage qu’il a écrit à sa femme Antonietta, je ne pouvais m’empêcher de penser à la lecture que fit un jour le poète israélien Yehouda Amihai de ce même extrait de l’Ecclesiaste-Qohelet, lorsqu’il écrivit :
« Qohelet avait tort : un homme doit aimer et haïr en même temps, rire et pleurer avec les mêmes yeux, avec les mêmes mains jeter des pierres et les ramasser, faire l’amour en guerre, et mener des guerres en amour, détester et pardonner et se souvenir et oublier… »

Et d’une façon très particulière, Gérard Haddad parvient à conjuguer tous ces temps et ces saisons de la vie dans le message d’amour qu’il adresse à sa bien-aimée disparue : dire combien il s’est parfois senti si petit mais conscient de la grandeur de son amour, dire ce que la maladie effaçait et savoir ce qu’elle ne pourrait pas gommer, exposer toute la vulnérabilité d’un homme fier qui n’est soudain pas sûr d’avoir aimé comme il aurait dû le faire, et dire merci et pardon dans un même souffle, à celle qui l’a affiné et fait grandir au-delà de tout ce qu’il aurait espéré.

« J’ai découvert l’amour fou que je te portais, écrit-il, en ces jours où le mal est venu toquer à notre porte, où la ronde des jours annonça sa limite. En cette place ancienne de ma cruauté et de mon manque d’indulgence, se mit à fleurir une indulgence infinie, une tendresse dont je me croyais incapable ».

Et l’homme amoureux poursuit :
« J’écris ces lignes pour maintenir l’illusion que tu es toujours là dans la chambre d’à côté, que tu vas bientôt surgir pour me porter un café, échanger quelques mots, un baiser. Non l’amour véritable n’est pas fragile mais le bonheur, lui, l’est particulièrement. Si tu savais l’insupportable douleur de ton absence ».

Et ce livre d’amour fou est une leçon pour tous les vivants, un manuel d’amour vrai à l’usage de tous ceux qui ne sont pas sûrs de bien aimer.

La tradition affirme que le livre de l’Ecclésiaste, texte biblique de la mélancolie, et le plus grand chant d’amour, le Cantique des Cantiques furent écrits par un seul et même homme, le roi Salomon. Comment un seul esprit pouvait-il témoigner d’émotions si contraires ? Quand on lit Gérard Haddad, on comprend parfaitement qu’elles naissent de l’âme d’un même homme qui, dans les profondeurs du chagrin, est sauvé par l’amour.