Chat GPT, le Talmud À la puissance mille

© Mirit Rahamim Lazar, Pigeon, 2023, Acrylic & Oil on Canvas, 180 x 70 cm
Courtesy of Zemack Contemporary Art, Tel Aviv
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Je dois être la personne la moins qualifiée au monde pour parler d’intelligence artificielle. D’abord de l’intelligence, je n’en ai guère ; quant à tout ce qui touche à la technique, l’informatique, la révolution numérique, je suis à peu près aussi avisé qu’un rabbin à qui on demanderait son avis sur la meilleure façon de choisir une brosse à dents. D’ailleurs, quand j’entends parler de ChatGPT et autres couillonnades du même genre, je prends la fuite. Je ne veux rien en savoir. Ma vie est assez compliquée comme cela pour que, de surcroît, je passe mes nuits à me demander si l’intelligence artificielle est l’avenir de l’homme ou de la femme ou de tout ce que vous voulez. Déjà que j’ai du mal à me convaincre que ce monde existe pour de vrai, sans parler de l’existence de Dieu à laquelle je crois autant qu’à la nécessité des travaux entrepris par Anne Hidalgo pour révolutionner Paris. Pour autant, il m’est bien évident que l’intelligence artificielle, si jamais on lui laissait le champ libre, entraînerait de facto la mort du judaïsme.

ChatGPT par exemple, du peu que j’en sais, c’est le Talmud à la puissance mille. Un érudit à qui vous donnerez un verset de la Bible à commenter, aussi savant soit-il, ne serait-ce que par la limite de sa force physique, finira tôt ou tard par la boucler, tandis que ChatGPT, non. Demandez-lui pourquoi il faut lier ses téfilines à son bras gauche et non pas à son talon droit ou la raison pour laquelle on peut tailler sa barbe avec des ciseaux mais non avec un rasoir, de ces questions cruciales pour l’avenir du genre humain, l’intelligence artificielle serait tout à fait capable de vous pondre non pas un traité entier mais dix mille milliards de traités. Ou autrement dit, l’intelligence artificielle appliquée au judaïsme, ce serait comme le dopage dans le sport, une pratique déshonorante capable de jeter l’opprobre sur l’essence même de la religion juive. Mettez en concurrence le plus bavard des rabbins, le plus prolixe, le plus imaginatif et n’importe quel outil d’intelligence artificielle, le résultat sera sans appel. Ce dernier remportera la partie haut la main. L’intelligence artificielle, c’est le fantasme absolu du kabbaliste, une vision orgasmique et onaniste du judaïsme où le commentaire ne s’arrête jamais. Si j’osais, je tenterais une comparaison avec l’homme qui, aussi doué pour la chose soit-il, finit tôt ou tard par cesser de remuer de la queue là où la machine peut sans jamais se fatiguer satisfaire sa ou son partenaire. Dès lors, on comprendra mieux en quoi l’intelligence artificielle représente pour le judaïsme un danger mortel. Elle serait tout aussi déloyale qu’une pilule de Viagra pour les performances sexuelles. Ce serait une sorte de Rachi sous acide, de Maïmonide sous testostérone. À se demander si elle ne posséderait pas quelques vertus messianiques. Cette capacité de commenter sans jamais prendre de pause, d’empiler observation sur observation, de se livrer à une analyse qui s’auto-entretiendrait d’elle-même en un feu perpétuel, qu’est-ce là si ce n’est le triomphe absolu de l’étude, la consécration d’une parole divine tout à la fois intarissable et annonciatrice d’une ère nouvelle où la connaissance étendrait son empire à l’infini ?

Mettez ChatGPT entre les mains d’un rabbin, il deviendra comme fou. Il lui posera tellement de questions, obtiendra tant de réponses que, bientôt, il déposera le bilan et se convertira au bouddhisme. Si la machine est capable de battre le meilleur des joueurs d’échecs, du rabbin le plus accompli elle ne fera qu’une bouchée. Un jour prochain, tous nos rabbins défileront devant le Consistoire, la CGT rabbinique en tête suivie de Sud-Rabbin, en réclamant l’arrêt immédiat du développement de l’intelligence artificielle et proclamant que ChatGPT est tout sauf kasher. Qu’elle est une invention des goyim pour prendre le judaïsme à son propre jeu. Que l’Éternel béni-soit-Son-nom n’a pas créé l’homme pour qu’un jour, des puces reliées entre elles par je-ne-sais-quel mécanisme tordu finissent par prendre sa place. On n’est tout de même pas sorti d’Égypte pour un jour obéir à une machine qui nous dira quoi penser et comment. Après tout, nous sommes le peuple élu, pas une bande de troufions prêts à prêter allégeance à une intelligence dont on ignore si jamais elle a été circoncise un jour.

Car bien évidemment, le but ultime de la machine, la raison même de l’intelligence artificielle sera de tuer tous les dieux afin d’établir un culte dédié à sa seule splendeur. Et une fois que ce but sera achevé, des hommes elle se débarrassera et régnera seule sur la Terre. À moins que, d’ici-là, le Créateur ne sorte de sa torpeur et constatant que son œuvre est en train de lui échapper, voire même de le supplanter, ne se décide à passer à l’action. Il y va de son honneur. Ah Dieu si seulement pour une fois tu pouvais te montrer à la hauteur de ta réputation. Du haut de ta gloire infinie, par toute la sainte colère dont tu es capable, frappe donc cette invention de ton souverain mépris. Sois sans pitié. Ne retiens pas ta force. Rends-nous libre de devenir idiots par nous-mêmes et non pas sous l’influence d’une prétendue intelligence aussi utile à la marche de l’humanité qu’un distributeur de revues pornographiques dans une synagogue. Nous sommes nés par le Verbe, nous ne voulons pas disparaître sous l’effet d’une glaciation de la pensée, d’un abattage de mots vidés de toute substance.
Et pour une fois, sois diligent.
Le temps presse.