Comment transmettre ?

« Comment aborder l’histoire de la Shoah avec les enfants sans les traumatiser ? » Yad Layeled France propose, depuis quinze ans, une approche sensible et originale. Aujourd’hui, cette démarche ne peut se comprendre sans avoir répondu à la question: « Que voulons-nous transmettre ? ».

S i les enseignants trouvent qu’il est difficile d’aborder l’histoire de la Shoah dans les écoles, ce n’est pas parce que les écoliers ne veulent pas en entendre parler. En primaire, les raisons des difficultés sont assez différentes de celles rencontrées dans les collèges ou les lycées.

Il faut imaginer lesenseignants au moment d’aborder ce chapitre dont ils savent, eux, la gravité. Comment ne pas être embarrassé ? Ils sont sur le point d’annoncer quelque chose detragique à leursélèveset qui peut changer leur regard sur le monde. Pourrait-on leur en vouloir d’hésiter. ?
Ils n’hésitent pas d’ailleurs, et les études nous disent qu’on n’a jamais tant parlé de cette histoire qu’aujourd’hui. À Paris, pas une école construite avant 1945 qui ne possède une plaque rappelant que des enfants juifs y étaient scolarisés avant leur déportation. La littérature pour la jeunesse est pléthorique, et les lieux de mémoire proposent de nombreuses occasions de visites pour les scolaires.

Les grandes dates commémoratives telles que la Journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité du 27 janvier sont des moments forts de participation à la construction d’une mémoire collective. Mais finalement combien de classes sont-elles concernées? Il reste tant à faire pour que toutes les générations d’élèves du cycle 3 (CM1, CM2 et 6e ) soient réellement sensibilisées.
Pourquoi voulons-nous transmettre ? Que souhaitons-nous faire découvrir de cette histoire à des jeunes de l’âge de dix ans ?
Notre objectif est qu’ils comprennent l’histoire du pays dans lequel ils vivent, qu’ils prennent acte de ce qui s’est passé et qui ne doit pas recommencer, qu’ils honorent la mémoire des victimes, qu’ils apprennent à se respecter les uns les autres.

Depuis sa création en 1997, l’association Yad Layeled France met à la disposition des enseignants de l’école primaire et de leurs élèves des outils permettant d’aborder l’histoire de la Shoah. Ses initiatives pédagogiques sont nombreuses : création de mallettes pédagogiques, conception d’ateliers expositions, organisation de formations… Les bénévoles, pour la plupart anciens enfants cachés pendant la Shoah ou enfants de survivants, mais aussi historiens et enseignants, se réunissent autour d’une ambition commune : permettre aux jeunes de prendre la mesure de l’événement que les programmes de l’Éducation nationale désignent comme«l’extermination des Juifs et des Tsiganes par les nazis, un crime contre l’humanité ». Ils en avaient la conviction, et une récente étude vient de le confirmer (Mémoires à venir, enquête sur la mémoire au XXe siècle, orchestrée par la Fondation pour l’innovation politique et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah) : l’école est aujourd’hui le principal moyen par lequel la jeunesse découvre l’histoire.
À la dernière rentrée scolaire, Yad Layeled France a mis en circulation l’atelier-exposition « Enfants juifs à Paris, 1939-1945 ». Par une approche chronologique et thématique (avant la guerre, face à la montée des exclusions, dans la nécessité de se cacher…), à partir de documents d’archives et de textes, les élèves découvrent le quotidien d’enfants qui avaient leur âge pendant la Seconde Guerre mondiale et les réactions de leurs familles. L’enseignant qui anime l’atelier est guidé par le livret pédagogique proposé avec le matériel. Il y trouve les réponses aux sept activités pour les élèves, des repères historiques, un glossaire, des pistes d’approfondissement et des références bibliographiques.

REJETER CE QUI POURRAIT CHOQUER SANS TOMBER DANS L’ÉCUEIL DE LA BANALISATION


L’activité se poursuit par une restitution orale : à tour de rôle, chaque groupe rend compte au reste de la classe de ce qu’il a compris du vécu des enfants juifs durant ces années. Les élèves sont incités à réfléchir au sens de mots-clés qui constituent le fil rouge de cet atelier : l’immigration, l’exclusion, la déportation, la solidarité, le sauvetage, la reconstruction, la mémoire. Notions ô combien d’actualité ! L’objectif est d’enseigner, de façon transversale, la connaissance des faits à travers des récits authentiques. Par le recoupement des informations et des archives, chacun devient l’historien du sujet qu’il a été invité à aborder. Il restitue cette histoire, oralement ou par écrit.
Cet atelier, par son caractère pluridisciplinaire, offre la possibilité d’une leçon d’histoire, de géographie, d’instruction civique, de vocabulaire, d’expression écrite et d’expression orale. Pourquoi tant d’objectifs en un seul atelier? Car, soyons réalistes, même les enseignants de la meilleure volonté n’auront guère plus qu’une séance de travail au cours de l’année scolaire à consacrer à ce sujet.
S’appuyant notamment sur des récits de vie et de sauvetage, sur des documents et des photographies, rejetant ce qui pourrait choquer mais sans tomber dans l’écueil de la banalisation, cette approche historique favorise la construction d’une mémoire collective autour de valeurs partagées. Elle sensibilise les élèves aux thématiques citoyennes telles que la liberté, l’égalité, la fraternité, la justice, la dignité, la démocratie, et les fait réfléchir aux valeurs véhiculées par la Charte de la laïcité à l’école, notamment l’article 9 : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations ».
Parler de la Shoah, ce n’est pas uniquement parler de la violence du monde, ou s’assurer que les jeunes réalisent que cette chose « incroyable», la mise à mort systématique des Juifs, a vraiment eu lieu. Évoquer les actions de résistance, le courage des Justes, les raisons nobles de désobéir, apprendre ce que veut dire s’engager, c’est en posant ces fondations que nous pourrons ensuite leur raconter « l’incompréhensible ».

Le matériel itinérant de Yad Layeled France est mis gratuitement à la disposition des écoles.
Contact : Yad Layeled France – L’enfant et la Shoah
Tél : 0145242036 – yadlayeled@orange.fr

L’exposition « Enfants juifs à Paris, 1939-1945 » peut être découverte à la mairie du 13e arrondissement de Paris entre le 27 avril et le 17 mai.
Gratuit de 8h30 à 17 heures, du lundi au vendredi.

LA MAISON DES COMBATTANTS DES GHETTOS, SOURCE D’INSPIRATION
Beit Lohamei Haghetaot, la Maison des combattants des ghettos, a été fondée en Israël en 1949, à l’initiative d’Antek Zuckerman, l’un des dirigeants de l’insurrection du ghetto de Varsovie, et d’anciens membres de mouvements de jeunesse et de mouvements de résistance juive en Europe. Ils avaient pour objectif d’éduquer les jeunes Israéliens aux valeurs de solidarité et de responsabilité sociale au nom desquelles ils avaient agi pendant la Shoah. Ils voyaient dans la lutte pour l’égalité, la justice et l’empathie humaine le but de leurs actions et en- tendaient stimuler la réflexion des élèves.
Yad Layeled France représente Yad Layeled, le Musée-Mémorial des enfants situé sur le campus de Beit Lohamei Haghetaot. Ses expositions et ses ateliers invitent les jeunes visiteurs à découvrir la vie des enfants juifs pendant la Shoah, et à se poser sans cesse des questions pour aujourd’hui et demain.

  • Nathalie Zajde

Morts sans être morts

Interrompre la malédiction. Neutraliser les bourreaux. Quand la psychologie participe à la lutte contre les effets destructeurs du nazisme.

Depuis 25 ans, la psychologue Nathalie Zajde, au sein de l’équipe d’ethnopsychia- trie du Centre Georges Devereu1  , reçoit des rescapés de la Shoah, des anciens enfants cachés, des enfants et des petits-enfants de victimes. Pour Nathalie Zajde, guérir de la Shoah est un commandement – un devoir éthique, politique et culturel. À condition de bousculer quelques notions classiques de la psychologie, il est possible d’aider les survi- vants à surmonter les traumatismes de la Shoah et ainsi d’enrayer la transmission du malheur aux générations suivantes.

6 min. de lecture