De Lemberg à Nuremberg

Retour à Lemberg, de Philippe Sands, traduit par Astrid von Busekist,
Albin Michel, 2017, 23 euros

Retour à Lemberg est à la fois une recherche de détective sur les origines familiales, une histoire du droit humanitaire et des notions modernes de « crime contre l’humanité » et de « génocide », un récit autobiographique et une épopée centrée sur la ville de Lemberg (en allemand) /Lvov (en polonais) /Lviv (en ukrainien) qui donne envie de s’y précipiter toutes affaires cessantes.
Tout commence par une invitation à donner une conférence en Ukraine. Philippe Sands est un avocat franco-britannique spécialisé dans les droits de l’homme, notamment auprès de la Cour Pénale Internationale de La Haye, et professeur de droit humanitaire à l’University College de Londres. Il est aussi le petit-fils de Leon Buchholz, né en 1904 à Lemberg, une ville qui a aussi vu grandir le futur procureur et avocat Rafael Lemkin ainsi que le futur professeur de droit international Hersch Lauterpracht. Une ville qui a changé huit fois d’autorité politique entre 1914 et 1945. Une ville d’où furent déportées les familles Buchholz, Lemkin et Lauterpracht, une ville où Hans Frank, avocat du parti nazi, prononça plusieurs discours d’un antisémitisme enflammé. Une ville qui est aussi l’un des protagonistes de ce livre époustouflant.

Car ce pavé de 539 pages se lit comme un roman. Et pourtant, il n’est question que de faits véridiques, de récits historiques puisés dans les archives, d’interviews avec des témoins de l’époque, d’analyses juridiques autour du procès de Nuremberg et de méditations profondes de l’auteur sur les secrets de famille, le choix du silence ou de la révélation, et sur sa propre quête identitaire.

Ainsi, ce sont quatre biographies qui s’entrecroisent, se répondent et se complètent : celle de Leon Buchholz et, à travers lui, de sa famille exterminée dans les camps, mais aussi de sa vie à Paris après la guerre, une vie marquée par le silence et le secret; celle de Rafael Lemkin et de Hersch Lauterpracht, deux Juifs polonais sauvés in extremis qui ont dédié leur vie professionnelle (et personnelle dans le cas de Lemkin) à établir et renforcer le droit humanitaire avec les notions de « génocide » et de « crimes contre l’humanité », des concepts qui verront leur première application aux procès de Nuremberg en 1945; la vie de Hans Frank, avocat et ministre du gouvernement nazi, jugé et exécuté à Nuremberg. Et il y a les descendants de Buchholz, Lauterpracht et Frank, leur relation avec leur père ou grand-père, les recherches en généalogie, l’analyse de photographies jaunies retrouvées dans un sac en plastique, les contacts repris avec des cousins éloignés ou le travail de fourmi mené dans les archives ukrainiennes.

Comme dans un bon thriller, il y a de nombreux rebondissements, des récits qui tiennent le lecteur en haleine et l’empêchent d’interrompre sa lecture trop longtemps. Comme dans une fascinante quête des origines, des dédicaces longtemps restées illisibles révèlent finalement un sens nouveau, la photo d’un inconnu retrouve une identité. Le plus grand tour de force, c’est de nous offrir une histoire du droit humanitaire, en particulier autour des procès de Nuremberg, d’une lisibilité exceptionnelle. Un livre qui rend le lecteur intelligent. Car au-delà des récits de vie, Retour à Lemberg est aussi un rappel utile des leçons portées par la Shoah, notamment dans le domaine juridique. Avec des histoires individuelles, Philippe Sands tutoie l’universel.