Il y a quelques années, une animatrice de radio américaine affirma que l’homosexualité constituait indéniablement aux yeux de Dieu une abomination, puisque c’était « écrit dans la Bible ». En réponse, elle reçut une lettre savoureuse d’un de ses auditeurs qui lui écrivit :
« Chère Madame, merci de nous tenir informés avec tant de certitude de la volonté de Dieu, telle que révélée littéralement dans son livre saint. Permettez-moi donc de vous soumettre d’autres dilemmes sur lesquels vous saurez, j’en suis sûr, m’éclairer : Lorsque je brûle un bœuf sur l’autel comme sacrifice, je sais que c’est une odeur agréable à l’Eternel, puisque Lévitique 1:9 l’affirme ; mais mes voisins s’en plaignent. Dois-je les éradiquer ? Par ailleurs, j’aime- rais vendre ma fille en esclavage comme l’autorise Exode 21:7. Mais comment savoir ce qui constitue un bon prix ? Et puis, je sais grâce au chapitre 15 du Lévitique qu’aucun contact avec une femme en pé- riode menstruelle ne m’est autorisé. Le problème est : comment savoir si c’est le cas ? J’ai essayé de demander aux femmes qui m’entourent mais la plupart d’entre elles s’en offusquent… »
La lettre multipliait les exemples rocambolesques et humoristiques pour démontrer à partir du texte biblique l’absurdité d’une lecture purement littérale. L’argument du « c’est écrit » n’en est pas un, et l’est d’autant moins pour le judaïsme dont le mode de lecture invite toujours à la distance interprétative.
Ainsi, la fameuse loi du talion « œil pour œil dent pour dent » n’a jamais été interprétée comme telle, mais comme compensation financière d’un dommage, c’est-à-dire le prix d’un œil pour un œil et le prix d’une dent pour une dent.
Les rabbins ont parfois placé des conditions si complexes à l’application de versets qu’ils les ont purement et simplement neutralisés.
Reste qu’il existe bel et bien une tradition rabbinique qui condamne, à partir du Lévitique, une relation sexuelle d’un type particulier: la pénétration d’un homme par un autre homme. Cet acte-là spécifiquement constituerait ce que l’Hébreu nomme toeva, un terme souvent traduit par « abomination » dans les traductions de la Bible, mais dont le sens est en réalité plus complexe.
En Français, une abomination suggère un événement foncièrement contre-nature. Or, le mot toeva apparaît dans la Bible plus de cent fois, et ne définit pas nécessairement cela. Il s’agit parfois d’une coutume qui n’est pas culturellement acceptée par un peuple alors même qu’elle ne pose aucun problème en tant que telle à un autre. Ainsi, sacrifier un agneau en Egypte constituait une toeva pour les autochtones alors que c’était le culte des Hébreux (Exode 8:22). L’abomination biblique n’est donc pas un acte universellement contre-nature, mais une pratique relative à un temps et un lieu particulier. En un mot, elle est contextualisable.
Ce numéro de Tenou’a s’intéresse justement au contexte, c’est-à-dire à la façon dont ce verset est pensé et interprété aujourd’hui dans la diversité des mondes juifs, des sensibilités et des géographies. Que font de cet interdit les penseurs du judaïsme contemporain en Europe, en Israël et aux États- Unis ? Par-delà les divergences d’interprétation, c’est la question de l’inclusivité, et de la place faite aux homosexuels dans les communautés juives qui est posée. Cette question nous oblige à reconnaître que l’homophobie touche encore bien souvent nos institutions. Ce mal est, à tout point de vue, abominable.