Enjeux et opinions

L’enjeu majeur de l’endogamie juive est ce qu’on appelle la « continuité juive ». Pour faire simple, il s’agit de ne pas dissoudre la judéité dans la globalité, de maintenir la singularité juive pour éviter la disparition du judaïsme comme culture, comme religion ou comme peuple.
Ici encore, si l’enjeu semble être à peu près consensuel, ses nuances et ses réponses sont multiples. Pour nombre de Juifs, la judéité est une ethnicité; pour d’autres, elle est une culture; pour d’autres encore elle est une religion; et pour un très grand nombre elle est un peu tout ça. Mais répondre aux continuités ethniques, culturelles et religieuses appelle des stratégies non seulement différentes mais qui souvent s’opposent entre elles.

Dans une vision ethniciste de la continuité, ce qu’il faut préserver, c’est le sang, la « pureté », la lignée, en évitant au maximum la contamination exogène: la solution la plus simple consiste donc à exclure la part contaminée du peuple (et à empêcher, autant que possible, la conversion du conjoint non juif).
Dans une perspective culturaliste, c’est presque l’inverse: il faut retenir à tout prix le membre du groupe, quitte à inclure leur partenaire exogène, pour éviter la disparition d’une culture.
La conception religieuse, elle, poursuit un but encore radicalement autre: éviter surtout la transgression de la Loi qui, très souvent, ne vient pas de l’extérieur mais bien de l’intérieur du groupe. Dans ce cas, il faut tout faire pour ramener la brebis égarée tout en étant prêt à la chasser si elle n’est pas réceptive.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les courants les plus progressistes ne sont pas les moins attachés à l’aspect religieux : aux États-Unis, les mouvements libéraux et reconstructionnistes ont élargi la définition de l’identité dans le but que le Juif vivant en couple mixte continue non seulement de vivre une vie religieuse juive mais parfois la ravive et surtout la transmette à ses enfants. Autant que possible, ces mouvements cherchent à fabriquer des enfants juifs plutôt qu’à se protéger de la mixité. Certains partisans de l’inclusion des couples mixtes veulent voir dans leur multiplication à la fois un signe et un facteur d’éradication de l’antisémitisme: d’une part, les mariages mixtes sont désormais possibles parce que nous ne sommes plus stigmatisés et relégués par nos gouvernements dans des statuts d’infériorité; d’autre part, plus le nombre de non-Juifs qui fréquentent des Juifs augmentera, plus les idées antisémites seront faibles et insignifiantes.
À l’opposé, certains des opposants les plus farouches au mariage mixte craignent une extinction pure et simple par assimilation, les plus radicaux d’entre eux allant jusqu’à qualifier le mariage mixte de « Shoah silencieuse » et à considérer qu’il relève lui-même d’une logique antisémite externe ou interne. Pour eux, même si la mère est juive et donc ses enfants aussi, la persistance du judaïsme à deux ou trois générations est plus qu’improbable. Des synagogues américaines qui affichent « Nous accueillons tout le monde » aux anathèmes ultraorthodoxes (ou nationalistes en Israël), les stratégies diffèrent d’abord parce que les lectures du problème et les anticipations de ses conséquences s’opposent.

ASD

  • Amichai Lau-Lavie
  • Brigitte Sion

JOY : Le Juif et le Goy

En mai 2016, l’Israélien Amichai Lau-Lavie a été ordonné rabbin massorti par le Séminaire théologique juif de New York. Il aime se situer à la fois dans la continuité de la lignée familiale – son cousin est l’actuel Grand rabbin d’Israël, succédant à son oncle ; son frère est rabbin orthodoxe à Jérusalem – mais aussi dans la rupture : ouvertement homosexuel, rabbin de Lab/Shul, une communauté très inclusive « où Dieu est en option », il n’hésite pas à poser les questions qui dérangent et à chercher des solutions innovantes. En juin 2017, il a publié un projet intitulé Joy, fusion de « Jew » et de « goy », dans lequel il se penche sur la question d’officier à un mariage mixte. Son mouvement (massorti) l’interdit. Son quotidien est autre : « chaque semaine, je reçois entre trois et cinq demandes de mariage entre un juif et une personne d’une autre religion, ou juive par son père. » Dans un entretien au site Internet Judaism Unbound, il explique ce qui l’a poussé à étudier cette question pendant un an.

La journaliste et universitaire Brigitte Sion nous propose ici une adaptation traduite des principaux arguments du rabbin Amichai Lau-Lavie.

6 min. de lecture