Et le chien dans tout ça ?

On entend parfois dire que « les juifs n’aiment pas les chiens », sans trop comprendre d’où cela vient ni s’il y a le moindre fondement à cette assertion.

Interrogés sur la question du chien, les rabbins avouent souvent ne pas s’être vraiment posé la question.

Le rabbin Abraham Dahan, de Bruxelles, estime qu’il en va d’abord de la nature du chien. Ce qu’il représente s’oppose à l’image que nous voudrions avoir de nous. « Le chien marche devant, explique-t-il, puisant dans la Guemara Sota. On croit que c’est lui qui choisit son chemin, mais il ne cesse de se retourner vers son maître. Le chien est un faux guide qui n’en a que l’apparence, c’est peut-être pour ça qu’on dit qu’on ne l’aime pas ». M. Dahan, qui est né et a grandi au Maroc, voit aussi dans cette idée un métissage culturel avec l’environnement musulman qui fut celui des juifs d’Afrique du Nord, culture dans laquelle le chien est jugé « impur ».

Quant aux enfants d’Israël, pas un chien n’aboiera contre eux
Exode 11 : 7

À Paris, le rabbin Haim Nisenbaum explique que, à moins qu’ils n’aient une utilité réelle pour lui, le juif ne doit pas entrer en contact avec les animaux impurs. Or le chien qui ne rumine ni n’a le sabot fendu n’est en rien casher. Selon lui, le problème se pose d’ailleurs plus avec le chien qu’avec le chat, le chien étant un animal qui a bien plus besoin de contact avec son maître que le félin. « Bien sûr, ajoute M. Nisenbaum, si je suis agriculteur, il est tout à fait légitime que j’aie un chien pour garder mon troupeau, de même que je peux avoir un cheval de trait ou un chat pour chasser les souris qui mangent mon grain. » Le problème n’est donc pas, selon lui, le chien de ferme ni moins encore le guide d’aveugle, qui remplit une fonction noble et utile à l’homme, mais l’animal dit de compagnie, ou d’ornement.

Marc-Alain Ouaknin, de son côté, avoue ne pas bien comprendre ce que les juifs pourraient reprocher aux chiens. Il invoque Lévinas qui, dans Difficile Liberté, produit un texte mémoriel émouvant à pleurer sur le chien Bobby.

Bobby est le seul, parmi tous les êtres qui croisèrent Lévinas et ses compagnons du commando forestier, alors prisonniers de guerre israélites en Allemagne – « Nous n’étions qu’une quasi-humanité, une bande de singes » –, le seul qui ait vu en eux des hommes. « Dernier kantien de l’Allemagne nazie, n’ayant pas le cerveau qu’il faut pour universaliser les maximes de ses pulsions, il descendait des chiens d’Égypte. Et son aboiement d’ami – foi d’animal – naquit dans le silence de ses aïeux des bords du Nil. » Ces aïeux d’Égypte qui n’aboyèrent pas contre les Hébreux en Exode 11 : 7 : « Quant aux enfants d’Israël, pas un chien n’aboiera contre eux ni contre leur bétail afin que vous reconnaissiez combien l’Éternel distingue entre l’Égypte et Israël. »

Et si le chien n’était, finalement, aux yeux des juifs, qu’un chien, pas plus, pas moins, comme celui de la chanson de Pessah ? Ce chien « frappé par le bâton pour avoir mordu le chat qui avait mangé l’agneau qu’avait acheté mon père pour deux sous. Had Gadia… »