La synagogue qui s’ouvre sur la mémoire

Office dans la synagogue avec vue sur le mur mobile – © Iwan Baan

Babi Yar, lieu-dit de l’ouest de la ville de Kiev, fut le théâtre du pire massacre de la Shoah en Ukraine.
Le 29 septembre 1941, tous les Juifs doivent se présenter à un carrefour de Kiev ; ils sont dirigés vers Babi Yar et malmenés durant le trajet. Durant deux jours, 33 771 Juifs de Kiev sont forcés de se déshabiller, amenés par petits groupes dans le ravin de Babi Yar, allongés face contre lterre, et abattus d’une balle dans la nuque. Les nouveaux arrivants doivent s’allonger sur les corps de ceux qui les ont précédés, puis sont assassinés. Le soir du 30 septembre, les Allemands font exploser les parois du ravin pour enterrer les corps et les rares survivants sous des tonnes de terre.

Dans les mois qui suivent, 60 000 autres personnes, Ukrainiens, Russes, Tziganes, Juifs, Polonais, malades mentaux, opposants politiques, prisonniers de guerre, sont assassinés sur le même site. Deux ans après le massacre des Juifs à Babi Yar, les nazis font exhumer et brûler les corps pour effacer les traces du crime.

Malgré une certaine réticence des autorités ukrainiennes à entretenir la mémoire du massacre après son occultation (surtout dans sa dimension antisémite) par les Soviétiques, plusieurs monuments mémoriaux sont érigés après la chute de l’URSS. En 1991, 50 ans jours pour jour après le début du massacre, une sculpture représentant une ménora est inaugurée sur le site et, depuis 2016, s’est créé le Centre de commémoration de l’Holocauste de Babi Yar.

Il y a un an, un nouveau monument mémorial a vu le jour sur place, sans doute l’un des plus émouvants que nous connaissions. Créé par l’architecte suisse Manuel Herz, cela ressemble d’abord à un grand parallélépipède de bois. La mise en œuvre d’un mécanisme manuel déploie petit à petit une sublime synagogue ouverte sur le parc. Les peintures et les couleurs s’inspirent des synagogues traditionnelles de la « zone de résidence » où étaient cantonnés les Juifs de l’Empire russe jusqu’en 1917.

Sur les murs, des prières telles qu’elles existaient dans les synagogues de la région, dont cette surprenante bénédiction pour transformer un cauchemar en rêve. Au plafond, les motifs floraux redessinent la carte des étoiles telles qu’elles se trouvaient au-dessus de Kiev la nuit du 29 septembre 1941. Quant au mécanisme d’ouverture du bâtiment, il «est collectif, précisait Herz au Forward en mai 2021. Le minyan vient ensemble ouvrir la synagogue.»

Le 1er mars dernier, des bombes russes frappaient la tour de télévision de Kiev, à quelques dizaines de mètres seulement du site de Babi Yar. Le lendemain, Manuel Herz écrivait au Forward : «La synagogue de bois implique qu’elle soit entretenue quotidiennement. Ce soin de chaque jour, et cette fragilité, sont précisément ce qui fait commémoration. […] En devenant une zone de guerre, ce site a été volé à sa communauté». Dans un message qu’il nous adressait le même jour, il disait encore : «Le bombardement rend tout ceci encore plus urgent, encore plus cruel».