Meir Shalev: La richesse des lectures plurielles

Meir Shalev est mort le 11 avril 2023 à l’âge de 74 ans. Écrivain israélien reconnu, se définissant comme juif laïc, il fut un lecteur et commentateur reconnu de la Bible.
Pour Tenou’a, Delphine Horvilleur l’avait rencontré autour de son essai Ma Bible est une autre Bible.
Le président israélien, Isaac Herzog, exprime sa tristesse: “Comme il est triste que nous n’ayons plus à attendre un nouveau livre de Meir Shalev, qui (…) changera nos vies, les rendra plus riches, plus complètes.”

Meir Shalev en 2015 à Leipzig (Wikimedia Commons)

En décembre 2011, Tenou’a publiait dans son numéro 146 “Traduire, l’entre-deux du judaïsme”, un entretien avec l’écrivain Meir Shalev portant notamment sur son essai, Ma Bible est une autre Bible, publié en français chez Deux-Terres trois ans plus tôt*. Alors que nous apprenons avec tristesse la disparition de Meir Shalev ce 11 avril 2023, nous vous proposons de retrouver ici les mots de cet immense écrivain israélien.

Selon vous, un Israélien qui lit la Bible a-t-il besoin d’une traduction ?

Je fais partie d’une génération d’Israéliens qui, pour la plupart, n’avaient pas besoin qu’on leur traduise la Bible. Le langage et les expressions de ce texte me sont familiers et je me sens très proche de cet hébreu. Pour la génération de mes enfants et les plus jeunes encore, les choses sont un peu différentes. Ils sont moins à l’aise avec cette littérature et avec la culture biblique en général. Il y a quelques années, est même parue une traduction de la Bible en hébreu moderne, le Tanakh Ram. De mon point de vue, même si je trouve l’idée intéressante, cette traduction me semble mauvaise, car très appauvrie. C’est un peu comme si vous aviez voulu traduire Shakespeare sous la forme d’un manuel d’utilisation de votre lave-vaisselle.
L’hébreu est une langue qui évolue à une vitesse surprenante, au point de faire dire à certains linguistes qu’il y a un hébreu classique, et une autre version parlée, l’israélien. D’autres langues disposent d’une version classique, ancienne et d’une version moderne. C’est le cas du grec ou de l’arabe, mais ces langues ont évolué lentement, au fil de plusieurs siècles.
Pour l’hébreu, au contraire, ce passage s’est fait de façon très accélérée. Compte tenu de la vitesse d’évolution de notre langue, non seulement je ne suis pas sûr que les générations futures comprendront l’hébreu biblique, mais je ne suis pas sûr non plus qu’elles comprendront celui de mes livres.

D’où vous vient cet amour de la Bible ?

Je suis un juif hiloni (laïc). Mais mes deux parents enseignaient la Bible à l’école. Mon père, le poète Isaac Shalev, avait développé une méthode très originale d’enseignement, un cours de Bible in situ. Il emmenait ses élèves sur les lieux mêmes des récits bibliques pour étudier. C’est aussi ce qu’il faisait avec nous. Je me souviens du jour où il nous avait emmenés dans la vallée d’Ella pour nous raconter l’histoire de David et Goliath, sur le lieu de leur affrontement, et où il avait demandé à quelqu’un de nous faire une démonstration de lance-pierres. Le monde de la Bible habitait mon enfance.
Aujourd’hui encore, ces histoires nourrissent mon univers, et leur langage m’est très familier. Je me dis souvent que si le Roi David revenait à Jérusalem, je serais en mesure de le comprendre, de parler avec lui. J’aurais tant de questions à lui poser. Je lui demanderais sans doute : est-ce vraiment toi qui as écrit le livre des Psaumes comme l’affirme la tradition ? Que s’est il vraiment passé avec Batsheva ? Oui, je crois que nous aurions une bonne discussion, d’homme à homme. 

Comment sont accueillis vos commentaires bibliques en Israël ?

Mon premier essai, Ma Bible est une autre Bible, a connu un formidable succès, particulièrement auprès d’un lectorat non religieux, très intéressé par une interprétation de ces épisodes. Une partie du monde religieux a crié au scandale, parce que je m’éloignais d’interprétations traditionnelles. J’ai tenté, dans mes commentaires, de conserver toujours ce qu’on trouve dans la Bible, un langage compact, et une psychologie des personnages qui ne soit pas trop explicite mais livrée à la traduction du lecteur. L’hébreu a cette particularité : un mot peut être traduit de tant de façons différentes. Cette richesse des lectures plurielles doit être conservée.

Propos recueillis par Delphine Horvilleur

* Ma Bible est une autre Bible, de Meir Shalev, est désormais disponible chez Folio ( 2011, 7,50€ )