Neïla : L’ILLUSION DU CHANGEMENT

© Eitan Eloa – grimm.eitanel.com

Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grâce reçue, ou ce qui s’attriste et se désespère sur un refus, tous auront disparu de dessus la scène. Il s’avance déjà sur le théâtre d’autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles ; ils s’évanouiront à leur tour ; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus : de nouveaux acteurs ont pris leur place. »

(La Bruyère)

Autrement dit, rien ne change. Ce qui était vrai au XVIIe siècle ne l’est pas moins aujourd’hui.
Le monde vibrionne et accélère, mais il fait du surplace. Les générations se succèdent, mais les erreurs sont identiques. La politique pratique l’alternance, mais les nouveaux entrants sont les anciens sortants. La littérature se renouvelle, mais les histoires sont les mêmes.

Du mécontemporain qui trouve que « c’était mieux avant » au progressiste en extase devant ses bons sentiments, le spectre immense des caractères a toujours été équitablement réparti à chaque époque. Rien de nouveau sous le soleil.

Ne plaignez pas trop le hamster dans sa roue ; il nous ressemble.
Dans un monde qui avance en roulant sur lui-même, « présent » et « actualité » sont des antonymes. « Homère est nouveau ce matin, et rien n’est aussi vieux que le journal d’aujourd’hui », disait Charles Péguy. Quelle meilleure façon de dire la différence entre la houle et l’écume ? L’actualité varie chaque jour, mais son traitement est si homogène qu’elle donne immanquablement l’impression de radoter. Le « présent » désigne à la fois les mécanismes et la présence immédiate des êtres et des choses, tandis que « l’actualité » recouvre la matière changeante et répétitive de ce qu’on appelle fort mal des nouvelles. L’un rend étonnant ce qui est familier, l’autre rend ennuyeux ce qui est inédit.

Et à ce compte-là, si ce qui passe revient toujours, alors seul ce qui dure est parfois neuf. Les passions humaines. La peur de mourir. L’indécision. Le courage. La tentation de remplacer la foi par la croyance. Le sens du divertissement. Le goût de l’ascèse. L’esquisse d’un sourire – capté par la plume d’un écrivain. Les livres sacrés.