Portfolio: Pupa Neumann

© Pupa Neumann – www.pupaneumann.com

Vous avez sûrement vu les images réalisées par Céline Nieszawer au détour d’une revue de cinéma, d’un portrait d’auteur ou même dans Tenou’a où ses photos apparaissent régulièrement. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir comment Céline, ou plutôt son alias Pupa Neumann, a plongé dans les délices de l’I.A.
Pupa Neumann est l’alias numérique de l’artiste Céline Nieszawer, que les lecteurs de Tenou’a connaissent bien (voir le no 185, Rêve d’école). Elle a exposé à Art Élysée, à la Foire Slick de Bruxelles, à The Solo Project, à la foire Unseen, et chez Artcurial. et Havas.
Elle a publié cinq livres aux éditions Tohu-Bohu : 365 + 1, Claude, Donald, Harmonie et Violette.
Récemment, on a pu voir son travail sur l’intelligence artificielle dans l’exposition collective Cinéma, l’envers du décor à la Pigment Gallery, à Paris.
Delphine Auffret l’a rencontrée.

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Entretien avec Pupa Neumann, artiste

Delphine Auffret Vous êtes une photographe confirmée. Pourquoi avez-vous commencé à composer des images à l’aide de l’AI ?

Pupa Neumann Ma sœur m’a demandé : « Est-ce que tu connais l’intelligence artificielle ? » Ça ne m’intéressait pas tant que ça mais j’ai voulu essayer. Parce que je suis curieuse, parce que c’est un truc nouveau. Je suis passée au numérique pour la même raison, pour essayer même si ça ne me passionnait pas.
À l époque, j’étais avec un Juif new-yorkais très moderne, qui était critique d’art : « Si tu ne prends pas le truc au vol, tu vas mourir ». Je suis une personne qui vient de l’argentique. Quand ma sœur m’a parlé d’intelligence artificielle et de photographie, je me suis dit : Qu’est-ce que c’est encore ? ça va être inconfortable, moi j’aime le confort. Comment je vais faire ? Mais allons voir quand même : le monstre est là, il ne va pas partir. Je ne connais personne qui peut m’aider mais quelqu’un me dit un mot, un nom. Donc tout de suite je tape ce nom et puis j’essaye. Apparaît une photo, comme par magie ; une photo que j’ai trouvée su-blime. J’avais fait ma première photo avec l’I.A. Un truc très raté en fait, que j’ai envoyé à ma sœur en disant : « Tu as vu ? c’est extraordinaire ». Elle me répond : « Bah moi je préfère tes autres photos ». Alors, j’en fais une deuxième. Puis j’en fais, j’en fais, j’en fais… Un jour, j’envoie une autre photo à ma sœur. Et elle me dit : « Ça, c’est super ». Moi je n’en avais plus rien à faire de cette photo. Elle était partie loin, loin, loin cette photo. Comme tout va très vite, tu évolues toi aussi très vite. Dans les premiers temps, il y avait des images magnifiques. La lumière était belle.

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DA Vous en parlez au passé ?

PN Oui, parce que tu ne peux plus les retrouver. L’I.A. évolue tellement vite que cette qualité-là a disparu pour une autre version de l’I.A. Bien aussi. Mais différente. Il y a tellement, tellement de possibilités. Et moi, là maintenant, je devrais écrire tout ce que je fais, ce qui me plaît, parce que je ne sais pas les refaire, faute d’avoir tout noté.

DA Quand vous formulez votre demande, ça se passe comment ? Vous décrivez l’éclairage ? vous décrivez la scène ? Vous voyez une image apparaître comme une surprise ou est-ce qu’elle est conforme à quelque chose que vous aviez dans la tête ?

PN Je ne peux pas tout dire. Parfois, c’est conforme. Parfois, c’est une surprise mais c’est la même chose avec mes photos sans I.A. Dans certains cas, je pousse un peu certaines informations pour que l’image devienne plus forte. Je le fais parce que je sais exactement ce que je veux. Et si je n’ai pas le résultat que je veux, je suis assez bonne en Photoshop, alors je dépasse la photo d’intelligence artificielle, j’utilise ce que j’ai appris avec l’autre type de photo, je l’investis.
Là, par exemple, j’étais dans la Renaissance. J’ai travaillé l’exposition. Ici, je voulais du glamour mais un peu étrange et hollywoodien. Ce que j’aime, c’est que tu n’es plus obligé d’être photographe dans ton temps. Tu as la latitude de pouvoir remonter le temps. Tu peux être un photographe de la Renaissance ou être un photographe de Hollywood, en plein désert sans bouger de Paris. Tu rêves. Tu as le même plaisir.
Avec l’intelligence artificielle, on peut traverser le temps, traverser l’espace, aller dans des endroits incroyables. Se rapprocher de soi-même aussi. Je me sens énormément appartenir à cette image : c’est mon image, ça ne peut pas être l’image de quelqu’un d’autre. C’est mon image. Elle me plaît, elle vient de loin.

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DA Vous parliez de la Renaissance, vous évoquez vos émotions artistiques passées. Les photos à l’I.A., pour vous, c’est comme une archéologie personnelle ?

PN Je suis très paresseuse, je n’ai pas de moyens illimités mais j’ai de grands rêves. Ce qui me plaît est pratiquement impossible à réaliser. Maintenant, j’obtiens certaines images que je n’aurais jamais rêvé d’avoir en tant que simple photographe ; pour des limitations techniques ou juste de temps. Si je veux une station-service au Groenland avec une femme africaine assez grande avec un corps sublime, je n’ai pas tous les maquilleurs et encore moins le décor. Je ne suis pas une photographe de mode, avec ses directrices artistiques, son agence de casting. Elle arrive et tout est en place, elle n’a qu’à appuyer sur le bouton. Moi non. Alors je trouve le moyen de faire ce dont je rêve. J’ai un nouveau regain de plaisir photographique. Je ne suis pas tout à fait archéologue mais je suis chercheuse. Je cherche l’image qui sonne le plus juste pour moi. Même si, dans mon travail, il y a toujours un aspect intuitif et impulsif, l’image résonne avec mon histoire, elle se nourrit de ma personne, sûrement de mes parents qui ont disparu et de mon rêve inaccessible : j’ai toujours voulu être photographe artistique. Pour être la véritable artiste que je veux être, il faut partir au combat, demander des aides, sortir d’écoles, avoir vingt ans… Par exemple, David LaChapelle, il prend un avion cassé, il joue à faire s’envoler une travestie blonde avec des chaussettes de toutes les couleurs et Gregory Crewdson, il met en scène Julianne Moore sur un lit avec une très belle lumière. Alors, la photo coûte aussi cher qu’un film. Je peux faire pareil désormais, dans ma cuisine au petit-déjeuner. Tu peux tout essayer. Je vais très loin dans ma tête et ça me fait un bien fou. Je peux avoir des soucis à l’extérieur, dans ma vie, quand je rentre dans mon travail avec l’I.A., je suis carrément bien. Je peux partir en expédition vers quelque chose que je ne connais pas et qui est phénoménal.

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DA La photo a souvent servi de preuve, c’est une époque révolue ?

PN Je suis artiste, pas du tout photographe de presse. Et puis, personne ne vient chez moi pour avoir machin en train de faire ci ou ça. Je pourrais le faire mais je ne le ferai pas.

Je ne suis pas dans une démarche de mensonge. Je cherche autre chose. Par exemple à être plus proche de mes couleurs. J’adore les couleurs de l’intelligence artificielle, je ne les retrouve pas quand je me promène dans la rue. Je déteste les enseignes depuis quelques années à New York, par exemple. Ce qui me chagrine, c’est que la couleur qui existait dans les années cinquante va complètement disparaître. Regarde les films en Technicolor – cette couleur spécifique a disparu avec la pellicule. Avec l’I.A., c’est ça que j’arrive à récupérer dans les images, des couleurs que j’aime, qui me satisfont plus que les couleurs de maintenant, et donc sont arrivées de nouvelles couleurs. C’est génial d’avoir de nouvelles couleurs à disposition.

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