Rabbinat orthodoxe féminin

Dans le judaïsme libéral, des femmes sont rabbins depuis plusieurs décennies. Dans le monde orthodoxe, ce phénomène est plus récent. Ruth Balinsky Friedman, 29 ans, figure parmi les premières: “Maharat” depuis 2013, elle exerce à la synagogue Ohev Sholom à Washington, aux États-Unis. Elle explique son rôle à Tenou’a.

Entretien avec Ruth Balinsky Friedman, Maharat à Washington

Dans quel environnement avez-vous grandi ?

Je viens de Chicago, où mon père est un rabbin orthodoxe. Ma mère enseignait le français à l’université Northwestern. Elle est décédée quand j’étais enfant. Ma belle- mère est médecin. J’ai donc été entourée de femmes qui étaient des modèles à suivre. J’ai grandi dans le judaïsme orthodoxe et j’ai toujours pensé que ce n’était pas un milieu où une femme pourrait avoir une place d’influence. Je suis partie étudier au Barnard College, à New York. À la même époque, la Yeshiva Chovevei Torah, un sémi- naire rabbinique orthodoxe moderne, faisait beaucoup parler d’elle. Elle était en pleine expan- sion et se profilait comme un séminaire orthodoxe ouvert. Je les connaissais bien car ils utilisaient les locaux du Barnard College pour leurs activités et je trouvais leur approche intéressante.

Après mon diplôme en Psychologie et Études juives, en 2007, je voulais continuer à étudier et je me suis inscrite pour un an à l’Institut Drisha, un centre d’études juives pour les femmes qui veulent étudier les textes en profondeur. J’y suis restée deux ans. C’est à la fin de ma formation à Drisha que Rabba Sara Hurwitz a reçu sa smi- kha et est devenue la première femme orthodoxe à être ordonnée. Quelques mois plus tard, la Yeshivat Maharat a été fondée par le rabbin Avi Weiss, et Sara Hurwitz en a été nommée doyenne. Cela m’est apparu comme une évidence : j’allais y aller. J’ai fait partie de la première promotion, ordonnée maharat en 2013 avec deux autres femmes.

En quoi votre formation à la Yeshivat Maharat vous a-t-elle changée ?

Cela m’a donné énormément de confiance en moi, surtout au sein du judaïsme ortho- doxe où les filles et les femmes ne sont pas encouragées à être visible ou à donner leur point de vue, alors qu’elles ont une contri- bution importante à apporter. Ce sont les garçons qui étudient la Guemara. En tant que fille, je ne me sentais pas habilitée à m’exprimer. Maintenant, je suis sûre de moi, j’ai évolué spirituellement et je me sens investie dans mon rôle de maharat au sein d’une communauté.

Vous travaillez à la communauté Ohev Sholom à Washington depuis un an environ. Quel est votre rôle ?

La synagogue Ohev Sholom est une com- munauté de trois cents familles qui existe depuis 125 ans. Le rabbin Shmuel Herzfeld lui a donné un coup de jeune depuis 2004. Cette communauté ne cesse de grandir et il avait besoin d’un deuxième membre du clergé. Voilà comment j’ai été engagée. Je travaille en tandem avec le rab- bin ; je travaille particulièrement dans l’enseignement des adultes, le processus de conversion, les programmes pour les 20- 30 ans sans enfants, je participe aux rituels du cycle de la vie, je donne des sermons le shabbat et je suis engagée dans la construction du mikvé (bain rituel).

Y a-t-il beaucoup de tâches que vous accomplissez en tant que femme et pour des femmes ?

Non, je dirais que l’essentiel de mon tra- vail est purement égalitaire. Les quelques exceptions sont certains cours destinés aux femmes (sur les questions de nidda, par exemple). Je suis active à tous les niveaux : j’enseigne aux hommes comme aux femmes. Cette année, j’ai donné un cours de six semaines sur le livre des Lamentations, un autre sur Ismaël et Esaü. L’an prochain, je proposerai un cours de Talmud. Je participe à tous les rituels du cycle de la vie : lors d’une circoncision, je suis aux côtés de la mère qui récite la bénédiction du gomel (déli- vrance) ; lors d’une simhat bat (cérémonie d’accueil d’une fille dans la communauté), c’est moi qui officie. J’ai déjà officié seule à des funérailles et à des mariages.
Notre communauté est jeune et nous avons encore peu de bnei mitsva. Mais je me réjouis de développer une véritable céré- monie de bat mitsva pour les filles de notre communauté.
Pendant les offices, je suis assise avec les femmes. Nous sommes tous assis au même niveau, il n’y a pas de balcon ou de galerie au fond. Je participe à la procession de la Torah dans la section des femmes. Je prononce des béné- dictions comme le mi shébérakh et je soutiens les femmes qui disent le kaddish. Je donne des sermons depuis la bima.

Participez-vous à des activités avec des rabbins orthodoxes? Avec des femmes rabbins non- orthodoxes ? Avec des mem- bres du clergé non-juifs ?

Oui, bien sûr. Je suis très impliquée dans l’International Rabbinic Fellowship, qui réunit les rabbins et maharat orthodoxes. Nous nous voyons une fois par mois. C’est vrai que, parfois, je suis la seule femme au milieu d’une nuée d’hommes ! J’ai des contacts réguliers avec des femmes rabbins d’autres mouvements. Ma partenaire d’étude, avec laquelle j’étudie une fois par semaine, est d’ailleurs une femme rabbin issue du mouvement libéral.
Je participe aussi à des programmes interreligieux. Nous avons récemment organisé, avec un imam, une prière commune pour la paix.

Vous êtes déjà une inspiration pour de nombreuses jeunes filles et femmes orthodoxes. Quels ont été vos modèles ?

Je suis très reconnaissante aux deux personnes qui dirigent la yeshiva, le rabbin Jeffrey Fox et la rabba Sara Hurwitz, parce qu’ils donnent de la confiance à celles qui s’investissent dans cette voie. Je sais que je peux toujours m’adresser à eux et leur deman- der conseil.

Y a-t-il des domaines dans lesquels vous aimeriez développer votre rôle ?

J’estime être active dans tous les domaines dans ma communauté. À part le projet spécifique de développer le rituel de la bat mitsva, je veux surtout poursuivre un but plus large : aider les juifs à développer leur relation au judaïsme, pour qu’ils soient moins intimidés par la religion et qu’ils renforcent ainsi leur identité juive.

Propos recueillis par Brigitte Sion