Trois question à Éliane Corrin

PRIX ANNIE ET CHARLES CORRIN POUR
L’ENSEIGNEMENT ET L’HISTOIRE DE LA SHOAH

ENTRETIEN par Sarah Rozenblum

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le prix Annie et Charles Corrin ?

Permettez-moi d’abord d’évoquer l’histoire de mon père, Charles Corrin. Il est né le 25 mars 1925 à Ostrowiec en Pologne. Le 10 octobre 1942, alors que les Juifs de d’Ostrowiec sont déportés à Treblinka, mon père parvient à rejoindre un groupe d’hommes sélectionnés pour travailler dans l’usine locale. Au printemps 1944, il est déporté à Auschwitz, où il survivra. Il est évacué du camp en janvier 1945 et participe à la Marche de la mort. Il survit encore cinq mois à Buchenwald, puis Theresienstadt, pour être finalement libéré en mai 1945 et émigrer à Paris l’année suivante. Mon père avait à cœur de perpétuer le souvenir de la Shoah. Il faisait souvent un rêve dans lequel il était assis en cercle, avec des amis, et témoignait de ce qu’il avait vécu en déportation.
Un jour, après avoir été menacé de mort, il décide d’œuvrer à la perpétuation de la mémoire du Génocide. Il ne comprenait pas que l’on occulte le sujet dans les écoles. Pour lui, il était essentiel d’agir auprès des jeunes et de prendre appuis sur l’école. Il crée en 1989 le Prix Annie et Charles Corrin, sous l’égide du Fonds Social Juif Unifié. Soutenu par le ministère de l’Éducation nationale, le prix récompense un projet pédagogique mené dans un cadre scolaire ou associatif autour de l’enseignement de la Shoah. Le Jury compte plusieurs personnalités issues du monde de l’éducation et de la communauté des historiens. Il a, depuis sa création, été présidé par André Fossard, Simone Veil et Boris Cyrulnik.

Le prix veut-être « Le rendez-vous de tous ceux, jeunes et adultes, qui auront choisi la vérité contre le mensonge, la mémoire contre l’oubli ». Quels sont les enjeux pédagogiques de ce prix ?

Pour moi, le fait d’apprivoiser l’horreur et de pouvoir en parler constitue un rempart contre la violence. Étudier la Shoah, c’est affronter cette béance, ce vide incompressible laissé par le Génocide. C’est également, pour ces enfants, affronter l’une des peurs premières de l’existence : celle de la disparition, de l’anéantissement et de la mort ; autant de thèmes qu’il est difficile mais essentiel d’aborder dès le lycée. Nos sociétés modernes ont effacé la mort et l’ont confinée aux marges de nos esprits. La participation au Prix leur permet d’affronter le thème de la disparition et de conjurer la peur de disparaître.
Le nombre de participants a évolué au grès de l’actualité géopolitique. Au début des années 2000, nous n’avons enregistré qu’une quinzaine d’écoles participantes. Nous avons cru, par moments, que le Prix allait cesser faute de participants. Il a toutefois survécu sans que le « politique » ne parvienne à s’immiscer. L’édition 2017 a enregistré plus de trente écoles participantes, ce qui a de quoi nous réjouir. Dans un contexte marqué par la banalisation des actes antisémites et la relativisation de la Shoah, il nous importe que l’initiative perdure.

Pouvez-vous nous parler en quelques mots des lauréats de cette année et des raisons qui ont poussé votre jury à les récompenser ?

Nous avons reçu trente-quatre projets de qualité et d’ampleur inégales. Le prix a récompensé deux établissements REP (réseau d’éducation prioritaire) de Narbonne et de Strasbourg, dont les travaux témoignent d’un véritable travail de réflexion engagé par les élèves. Nous ne primons pas un livre mais bien une expérience de transmission de ce qu’a été la Shoah. Accompagnés de leurs professeurs – de véritables pédagogues dont je veux souligner le courage et l’engagement – les élèves du Collège Georges Brassens de Narbonne ont visité plusieurs mémoriaux de la région lyonnaise, dont ils ont étudié l’histoire et la fonction durant la Guerre : la maison des enfants exterminés d’Izieu, la prison mémorial de Montluc, le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon et le Camp mémorial de Rivesaltes.
Ces visites ont donné lieu à l’organisation d’une exposition, la rédaction d’un journal scolaire et de carnets de voyages. Il était évident, à la lecture des carnets, que les enfants avaient appréhendé ces sujets avec beaucoup de sérieux et une implication constante. Ils nous ont fait part de leur souhait de témoigner pour les disparus, en écrivant notamment : « Nous sommes là pour ne pas oublier ». C’était bouleversant. L’histoire des enfants d’Izieu et leurs propres vies, quoique distinctes, s’enchevêtraient par moments. Des fragments de leur histoire personnelle rejaillissaient. C’est une expérience formatrice et décisive dans la construction identitaire de ces enfants. La participation au Prix concourt ainsi à la préservation de la mémoire de la Shoah mais également à l’acquisition d’un héritage particulier par des enfants qui y seraient autrement indifférents, sinon étrangers.

Plus d’informations : prixcorrin-fsju.org