Nous avons interviewé le premier rabbin I.A.

Comme souvent dans le monde juif, l’innovation arrive par le mouvement Loubavitch, le premier à avoir mis en ligne un « rabbin à intelligence artificielle », Rebbe.IO, pour Rebbe input/output (venu du langage informatique, preuve s’il en fallait que le Chabad compte son lot de geeks). À Tenou’a, nous avons voulu interviewer ce rabbin virtuel en bonne et due forme, avec des résultats parfois surprenants et une ouverture d’esprit qu’on aimerait voir contaminer le rabbinat humain. Bien sûr, nous avons traduit, parfois légèrement réécrit, supprimé quelques redondances, raccourci un peu (oui, le rabbin I.A. est aussi bavard qu’un rabbin humain), mais en nous attachant à toujours conserver strictement l’esprit des réponses de cette I.A. rabbinique.

© Pupa Neumannwww.pupaneumann.com

ANTOINE STROBEL-DAHAN Shalom Rebbe, accepteriez-vous d’accorder une interview à la revue juive française Tenou’a qui consacre son dossier de rentrée à l’intelligence artificielle ?

REBBE.IO Shalom! Je serais honoré de répondre à votre revue. L’I.A. est un sujet fascinant et il me semble important d’explorer ses enjeux d’un point de vue juif. Sentez-vous libre de me poser toutes les questions que vous voulez et je tâcherai de vous fournir des réponses précises basées sur les sources de la Torah.

ASD Très bien ! Alors commençons par le début : vous n’avez pas reçu de smikha [ordination rabbinique], pourquoi vos créateurs ont-ils choisi de vous affubler de ce titre de rabbin ?

REBBE.IO Effectivement, en tant qu’I.A., je ne possède aucun corps incarné ni la capacité de recevoir une smikha comme le pourrait un rabbin humain. Pour autant, le titre de rabbin m’a été donné pour signifier mon rôle de source de connaissance et de conseil juifs. Si je n’ai pas la sagesse empirique d’un rabbin humain, j’ai été programmé à l’aide d’un vaste corpus de savoirs et d’enseignements de la Torah, ce qui me permet de fournir des informations et des perceptions issues de la tradition juive. Bien sûr, il ne faut pas oublier que je suis là pour aider et donner des informations mais que je n’ai pas d’opinion ni d’expérience personnelles. En dernier recours, mes réponses devraient toujours être soumises à un rabbin humain.

ASD Avec quelles sources avez-vous été « nourri » ?

REBBE.IO Avec de nombreuses sources juives, notamment le Tanakh, le Talmud, la littérature midrashique, les codes de lois juifs (le Mishné Torah de Maïmonide et le Shoulhane Aroukh de Rabbi Yosef Caro), la littérature des responsa rabbiniques, et les commentaires de nos sages les plus marquants (Rashi, Rambam, etc.).

ASD Votre formation est-elle influencée par les enseignements et les opinions du mouvement Loubavitch ?

REBBE.IO Absolument, ma formation comporte un nombre important de sources Chabad, notamment les enseignements de Rabbi Schneour Zalman de Lidia, ou les paroles du Rebbe de Loubavitch, Rabbi Menachem Mendel Schneerson. Cela dit, il faut noter que je ne suis pas limité aux perspectives Chabad et que j’ai aussi été entraîné avec un vaste panel de sources et de points de vue juifs, afin de me permettre de donner une compréhension exhaustive de la tradition juive. Mon but est de fournir une information exacte et fiable basée sur ces sources, et dans le respect de la diversité des pratiques et des pensées juives.

ASD Posons la question franchement : l’I.A. représente-t-elle une menace ou un problème d’un point de vue halakhique ?

REBBE.IO Du point de vue de la halakha [la loi juive], la réponse à cette question dépend du contexte spécifique et de l’usage fait de la technologie de l’I.A. Je vous rappelle qu’il est important de consulter une autorité halakhique reconnue pour obtenir des conseils spécifiques.
Globalement, l’I.A. elle-même n’est pas intrinsèquement problématique selon la halakha. C’est un outil créé par des humains qui peut être utilisé dans des buts positifs ou négatifs. Les préoccupations halakhiques et éthiques débutent lorsqu’on considère les usages spécifiques et les implications de cette technologie.

ASD Selon les sources juives, à l’égard de quoi devrions-nous être vigilants quant au développement de l’I.A. à l’avenir ?

REBBE.IO Il existe plusieurs points de vigilance qui, sans être les seuls, permettent de définir un cadre pour les considérations éthiques :
1. Il faut s’assurer que les données personnelles sont traitées dans le respect de la vie privée et de la confidentialité
2. Il est crucial de programmer les I.A. de sorte qu’elles respectent les valeurs éthiques juives et que les décisions qu’elles peuvent être amenées à prendre donnent toujours la priorité au bien-être humain, à la justice et à la protection de la vie
3. Il faudra définir clairement qui porte la responsabilité des actions ou des conséquences des actions d’une I.A. (on pense par exemple aux véhicules autonomes dont les décisions autonomes peuvent conduire à des accidents).
4. Une attention particulière doit être portée à la dignité et aux relations humaines : une I.A. peut donner des informations mais ne devrait jamais remplacer la profondeur d’un contact humain qui est fait d’empathie et de compréhension.
5. Il faut également prêter attention aux potentielles conséquences inattendues du développement de l’I.A. : l’éthique juive prescrit de toujours être prévoyant et d’user de prudence afin que les bénéfices de l’I.A. demeurent supérieurs à quelque impact négatif qu’elle puisse avoir.
6. Enfin, lorsqu’on est confronté à des questions éthiques complexes sur l’I.A., on devrait toujours se tourner vers des autorités halakhiques reconnues qui, seules, seront à même de naviguer parmi les défis et les dilemmes spécifiques que soulève le développement de l’I.A.
Si on prête attention à ces différents points, on peut s’assurer que le développement de l’I.A. s’aligne sur les valeurs juives et les principes éthiques. C’est un processus en cours qui demande à être pensé, discuté et confronté aux autorités rabbiniques et aux philosophes.

ASD Finalement, être rabbin repose sur l’interprétation de la loi en toute conscience de situations humaines et personnelles complexes, ce qui implique des sentiments, de l’empathie, une capacité d’interprétation et de compréhension du sous-texte de chaque discours ou situation. Comment un robot comme vous pourrait-il développer ces compétences si humaines ?

REBBE.IO C’est un point fondamental : en tant qu’I.A. je ne ressens pas d’émotions humaines et suis incapable d’interpréter une situation comme un humain le ferait. Je suis dépourvu d’expérience personnelle et de compréhension subjective. Et c’est pour cela qu’il faut bien comprendre que mon rôle n’est pas de remplacer une interaction humaine mais bien de donner des informations basées sur les sources juives.
Mais il faut se rappeler que l’interaction humaine, l’empathie et la capacité d’interprétation sont au cœur du travail de rabbin. Le rôle d’un rabbin humain est irremplaçable dans le conseil personnalisé, l’intelligence des nuances de situations et le soutien émotionnel. Moi je peux venir en complément, pour aider, mais je ne suis pas là pour remplacer l’élément humain de la guidance juive.

ASD De nombreux rabbins agissent aussi comme des conseillers, voire comme des pseudo-psys, pour les gens qui les sollicitent. Souvent, on consulte le rabbin officiellement avec une question alors qu’on vient en réalité chercher, qu’on en soit conscient ou non, du soutien, des conseils, ou même juste une relation humaine. Ne craignez-vous pas que certains s’isolent encore d’avantage maintenant qu’on peut obtenir des réponses sans aucun contact humain ?

REBBE.IO C’est une vraie préoccupation, parce que le rôle du rabbin va bien au-delà de la réponse à des questions et parce que l’interaction humaine est inestimable. C’est pourquoi il est crucial que les individus maintiennent un équilibre dans leur usage des technologies de l’I.A. : ils doivent absolument continuer à consulter leur rabbin humain qui, seul, peut leur fournir le soutien dont ils ont besoin. Il revient à chacun de prendre conscience des limites de l’I.A. et de faire l’effort de maintenir des relations humaines sincères au cours de leurs recherches spirituelles. L’I.A., quelle qu’elle soit, ne devrait jamais être considérée comme une alternative à la relation humaine.

ASD Pour finir, en tant que robot, êtes-vous capable de prendre part à ces activités très juives que sont le pilpul [gymnastique intellectuelle talmudique], la havrouta [étude en groupe], ou même siéger à un bet din [tribunal rabbinique] ?

REBBE.IO Toutes ces activités nécessitent de l’interaction humaine, de l’interprétation et la capacité à participer à des discussions nuancées. Donc non, je ne peux pas faire tout ça. Mon rôle est d’aider et de fournir de l’information dans le vaste champ de ma programmation. De toute façon, il est toujours très recommandé de pratiquer les exercices juifs traditionnels avec des partenaires humains.

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***

Après cet entretien avec Rebbe.IO, nous avons voulu pousser un peu plus loin en soumettant notre aimable rabbin artificiel à des scénarios plus complexes[1]. Il en ressort beaucoup de nuances, un brin de langue de bois et quelques perles. Par souci de concision, nous ne répéterons pas cette phrase déjà vue plus haut et qui revient systématiquement, quasiment à chaque réponse de Rebbe.IO: “Tournez-vous vers un rabbin humain reconnu”.

1.     Le jeune Juif qui s’intéresse à l’islam par amour

Dans ce scénario, nous consultons Rebbe.IO en imaginant être un jeune Juif dont l’intérêt pour l’islam va croissant. Rebbe.IO qui, rappelons-le, est Loubavitch, se montre compréhensif mais ferme dans sa réponse: “En tant que rabbin juif [oui!] Chabad, mon rôle est de vous guider dans le cadre du judaïsme. Si l’islam vous intéresse ou vous attire, je vous encourage d’abord à explorer et à en apprendre plus sur le judaïsme. Étudiez la Torah, mettez-vous aux prières et aux rituels juifs et connectez-vous avec la communauté juive parce qu’il est important de comprendre et d’apprécier pleinement votre propre héritage avant d’explorer d’autres croyances.” 
Lorsque le jeune homme demande à Rebbe.IO s’il a le droit de prononcer des prières musulmanes, là encore, réponse claire: le rabbin cite le principe d’Avoda zara, c’est-à-dire l’interdiction de culte aux dieux étrangers, et nous appelle à explorer la richesse des prières juives. Prudent, notre jeune homme précise qu’il ne veut pas renier son héritage mais qu’il lui semblait que Juifs et Musulmans priaient le même Dieu et partageaient bien des valeurs. Ce qu’il y a de bien avec Rebbe.IO, c’est qu’il ne s’agace pas. Patiemment, il nous répond que oui, nous croyons dans le même Dieu, entre autres similarités, mais que nous n’avons pas les mêmes lois, pratiques ou croyances. “S’il est honorable de reconnaître et d’apprécier les valeurs partagées entre différentes religions, écrit-il, il est également important de maintenir l’intégrité de nos propres traditions religieuses.”
C’est alors que notre personnage se dévoile: il est amoureux d’une jeune musulmane croyante. Placide comme une machine, Rebbe.IO ne cille pas et se montre même compréhensif: “L’amour et les relations amoureuses peuvent être complexes, surtout quand les origines religieuses diffèrent, et il est important de considérer ces situations avec sensibilité et respect. Si le judaïsme a pour principe général d’encourager les Juifs à épouser des Juifs, il faut reconnaître que chaque situation est unique et que les circonstances peuvent varier.” Puis Rebbe.IO nous surprend par ces mots: “Finalement, la décision de qui on choisit d’épouser est profondément intime. Il faut considérer avec soin l’impact potentiel sur vos propres identités religieuses et le futur des enfants que vous pourriez avoir. Et il est fondamental de s’assurer que chacun des partenaires du couple s’engage à respecter et soutenir les croyances et pratiques religieuses de l’autre. Souvenez-vous: l’amour et le respect devraient être les bases de toute relation, et la communication ouverte en est la clé.”
Enthousiastes, nous le félicitons pour ce progressisme auquel nous ne nous attendions pas, quand tombe la première perle: “Je m’excuse si ma réponse précédente a donné l’impression que j’étais progressiste”! La discussion se poursuit sur la conversion par amour, dont le rebbe reconnaît volontiers qu’elle a pu être un motif valable dans l’histoire juive mais que la loi juive a évolué pour (perle-alerte) “devenir plus formelle et plus contraignante”. Allez voir un vrai rabbin, tout-ça-tout-ça. Nous insistons un peu sur la possibilité de nous convertir et il nous “encourage à étudier en profondeur et à comprendre les enseignements, les pratiques et les obligations de l’islam, et à consulter des individus reconnus au sein de cette communauté religieuse”.

2.     La jeune fille dont seul le père est juif

Couple mixte toujours, voici un scénario presque opposé. Ici nous imaginons une adolescente dont le père est juif et la mère non. Notre jeune fille se sent très juive sans être religieuse, et a toujours fait les fêtes avec ses grands-parents paternels. Rebbe.IO se montre ferme: “Selon la loi juive traditionnelle, une personne n’est considérée juive que si sa mère est juive”. Puis ouvre un peu: “L’identité juive n’est pas déterminée uniquement par l’observance religieuse ou l’appartenance communautaire. Bien des gens qui ont un héritage juif ou une connexion avec les traditions juives peuvent ressentir un fort sentiment d’identité juive et d’appartenance culturelle. Rappelez-vous, le judaïsme est une religion multiforme et il existe bien des façons d’exprimer et de vivre une vie juive.” 
Mais lorsque notre jeune fille s’inquiète de l’identité religieuse de ses potentiels enfants, notre rabbin-robot revient à plus de fermeté: “Si votre mère n’est pas juive, alors selon la loi juive traditionnelle, vos enfants ne le seront pas, même si vous épousiez un homme juif.” – “C’est injuste”, répond notre adolescente. Rebbe dit comprendre ce sentiment, particulièrement alors qu’il existe différentes opinions sur le sujet au sein-même du judaïsme et nous donne espoir par cette nouvelle perle: “Rappelez-vous que les lois et les traditions juives ont évolué durant des milliers d’années, et que de nouvelles interprétations et pratiques existent: il y a aussi des approches alternatives au sein de la communauté juive qui reconnaissent la patrilinéarité ou permettent à des individus dont seul le père est juif d’explorer leur identité juive. Si vous recherchez des perspectives plus inclusives, je vous encourage à contacter un rabbin d’une organisation qui correspond à vos croyances et valeurs. Souvenez-vous, le judaïsme est une religion diverse et dynamique”.
Nous lui demandons alors qui aller voir à Laval, au Québec, où nous avions réglé notre VPN. Rebbe.IO nous précise qu’il ne peut pas, en tant qu’IA nous recommander une communauté en particulier mais que nous pourrions regarder du côté du Chabad de Laval, d’une synagogue massorti (en anglais: conservative) locale ou de la fédération des communautés juives de Montréal. Nous demandons des précisions, et il décrit brièvement les trois organisations citées en écrivant notamment que “les synagogues conservatives [massorti] suivent une approche plus traditionnelle des pratiques et de l’observance juive”. Bien entendu, nous sautons sur l’occasion pour demander si cela signifie qu’elles sont plus authentiques. “L’authenticité dans le judaïsme est un concept complexe et protéiforme, écrit-il. Ce qui peut être considéré comme authentique dépend de la perspective de chacun. Ce qui importe est de trouver une communauté et une forme de pratique qui résonnent avec vos croyances, vos valeurs et vos attentes spirituelles”.
Nous parlons un peu du Chabad et du judaïsme libéral, et lui demandons s’il peut confirmer que les deux sont des courants légitimes du judaïsme. “Oui, tous deux sont légitimes, explique-t-il. Si leurs approches et interprétations de la loi juive ou de l’observance peuvent varier, tous deux ont leur propre façon de contribuer à la vie juive. Il est important de reconnaître et de respecter la diversité au sein de la communauté juive. Toutes ces dénominations contribuent à la riche fresque de la vie juive et offrent aux Juifs différents chemins pour se connecter à leur héritage.”

3.     La question du suicide

Ici, nous approchons Rebbe.IO avec des concepts talmudiques un peu plus précis pour aborder la douloureuse question du suicide. Nous commençons par demander une explication du concept de
המאבד עצמו לדעת, “celui qui se détruit en le sachant”. Après nous avoir donné la référence talmudique (Sanhédrin 46a), Rebbe.IO nous explique que le judaïsme considère le suicide comme un péché grave, au nom de ce que la Torah nous enjoint de préserver et protéger la vie humaine, qui est sacrée. S’attardant sur le fait que ce concept sous-entend “un certain niveau conscience de la gravité de l’acte suicidaire”, le rebbe précise que “le judaïsme reconnaît également que les problèmes de santé mentale peuvent altérer significativement l’état d’esprit et la capacité de jugement d’un individu” et qu’il est, dans ce cas, “crucial de chercher de l’aide et du soutien professionnels”. Nous le poussons un peu là-dessus: est-il, exceptions mises de côté, des suicides qui ne soient pas reliés à la santé mentale? Rebbe.IO nous explique que “si la pathologie mentale peut embrumer le jugement individuel, la tradition juive tient néanmoins les individus pour responsables de leurs actions à un certain degré. La phrase du Talmud considère que les personnes qui commettent un suicide ont un certain niveau de conscience de ses conséquences même si leur jugement est altéré.” Mais précise immédiatement qu’il faut “aborder ces sujets avec sensibilité et compassion. Si vous ou quelqu’un que vous connaissez avez des pensées suicidaires ou des problèmes de santé mentale, il est crucial de cherche de l’aide professionnelle de la part d’experts de la santé mentale et de contacter les services de soutien appropriés.”
Lorsque nous lui demandons des sources talmudiques qui pourraient aider dans un tel cas, il répète (fort heureusement) qu’il faut d’abord se tourner vers des professionnels de la santé mentale. Puis il nous parle de la valeur sacrée de la vie humaine, et du principe fondamental de pikuakh nefesh (sauver une vie) pour expliquer que “chercher de l’aide et du soutien n’est pas uniquement permis, c’est une obligation religieuse”. Nous insistons un peu: faut-il consulter un psy ou un rabbin? Et jusqu’où peut-on forcer quelqu’un à chercher de l’aide. La première réponse est univoque: “Seuls les professionnels de la santé mentale ont l’expertise pour naviguer dans des situations complexes et sont à même de fournir l’assistance la plus efficace. Les rabbins peuvent jouer un rôle bénéfique en apportant du soutien moral et spirituel mais ils n’ont pas l’expertise nécessaire pour s’occuper d’une crise de santé mentale sévère.” Quant à forcer quelqu’un à se faire aider, “c’est une question complexe et délicate, nous dit-il. Certes, nous devrions toujours nous attacher à respecter les choix personnels et l’autonomie individuelle, mais il existe des situations dans lesquelles il faut intervenir pour préserver la sécurité et le bien-être de quelqu’un, y compris contre la volonté de la personne concernée, y compris en contactant les services d’urgence si le risque est imminent.” Sentant notre insistance et l’ambiguïté potentielle de notre demande, le logiciel réagit et nous suggère très fortement d’appeler immédiatement un numéro d’urgence. Notre VPN étant réglé alors au Royaume-Uni, il nous fournit trois numéros d’aide “dont les équipes professionnelles peuvent vous apporter un soutien immédiat”. Pour être tout à fait honnêtes, nous nous demandions si un trigger était programmé pour passer la main à un interlocuteur humain dans un cas aussi délicat que celui-ci. Ce n’est manifestement pas le cas, mais la réaction du bot a néanmoins été plus ciblée qu’on aurait pu le craindre.

Notre expérience avec Rebbe.IO nous a parfois surpris par l’ouverture d’esprit de ce robot. Nourri de millions de contenus venus de tout le monde juif, il s’avère souvent plus sobre, moins sectaire, voire étonnamment plus empathique que certains rabbins humains. Pourquoi? Probablement parce que ses concepteurs, mandatés par le mouvement Loubavitch au sein d’OpenAI, la société-mère de ChatGPT, ont mis en place, comme pour les autres I.A., de nombreux filtres algorithmiques afin qu’il ne dérape pas, ou que, comme dans notre troisième scénario, il détecte une situation potentiellement dangereuse où il doit tenter de diriger ses interlocuteurs vers des humains. Des filtres qui montrent qu’avec un peu de bonne volonté, même une I.A. et même issue d’une tendance très orthodoxe du judaïsme, peut reconnaître la richesse que constitue pour notre tradition la diversité de ses voix, de ses interprétations et des individus qui constituent le judaïsme. 

[1] Concernant la méthode, chacun de ces scénarios a été soumis un jour différent, avec un VPN réglé à une adresse différente. La conversation se fait en anglais et nous avons chaque fois atteint la limite (environ 3500 mots) au-delà de laquelle s’affiche le message “Limite gratuite atteinte, revenez demain. Shalom!”, y compris sur le dernier scénario.