Aider les survivants au quotidien

ENTRETIEN AVEC ANDRÉE KATZ

De quoi parlons-nous quand nous parlons des aides aux survivants ?
Il existe des aides disponibles pour les survivants de la Shoah qui sont principalement de l’ordre de l’accompagnement pour une meilleure qualité de vie au domicile. Ces aides, qui s’ajoutent aux prestations de droit commun, permettent d’apaiser les survivants au moins sur le plan financier pour tout ce qui relève de la perte d’autonomie, de l’isolement, etc. Les Allemands ont fini par admettre que dans ces populations, il y a moins d’aidants naturels que dans la population générale; les familles ont pour beaucoup été anéanties.
Ces fonds pour l’accompagnement à domicile ont été débloqués il y a une dizaine d’années seulement et cela va crescendo. Aujourd’hui, c’est réellement le contribuable allemand qui paye et le gouvernement allemand a mandaté la Claims Conference pour les distribuer via des associations qui couvrent un nombre significatif de survivants de la Shoah. Pour la France, ces fonds sont attribués au Casim à Marseille, la Fondation Casip-Cojasor et à l’Adiam.

Ces fonds sont-ils des réparations ?
Moralement, on peut dire que c’est une prise de conscience par les autorités allemandes, après d’âpres négociations tout de même, qu’il fallait adoucir, au terme de leur vie, le quotidien des survivants de la Shoah. Depuis la fin des années cinquante, les apatrides ont pu obtenir une pension mensuelle du gouvernement allemand qui s’appelle Wiedergutmachung, c’est-à-dire « Rendre le bien ». C’est un terme terrible lorsqu’on pense à ce que ça signifie et à ceux que cela concerne. Ces nouvelles aides relèvent un peu de la même logique: arrivés au grand âge, on peut dire que ces aides participent d’une certaine justice. Cela dit, pour pouvoir accéder à ces fonds d’origine allemande, encore faut- il que la personne concernée accepte de se faire identifier comme victime, et donc sollicite une pension. Ceux qui refusent de se faire identifier comme victimes ne peuvent pas bénéficier de ces fonds-là. Heureusement, nous avons une dotation importante qui provient de la FMS et qui nous permet d’aider tous les survivants, y compris ceux qui refusent cette identification. Nous gérons un fonds d’urgence d’un montant annuel de 350 000 euros qui leur est intégralement destiné; nous sommes strictement contrôlés et garants de la bonne utilisation de ces fonds. La FMS nous permet de prendre en compte avec bienveillance l’état d’esprit de gens qui sont parfois tellement abîmés qu’il leur est difficile voire impossible de se plier totalement à la logique administrative classique.

Les survivants peuvent- ils avoir l’impression que l’Allemagne « se rachète une conscience » à bon compte avec ces fonds ?
Il est certain qu’il y a parfois le sentiment que c’est là une tentative de solder une dette qui est impayable. Le revers de la médaille est que certains survivants estiment que « jamais ils ne paieront assez ». Or nous gérons un fonds d’urgence, autrement dit nous intervenons lorsqu’il n’y a pas d’alternative: nous ne sommes pas là pour nous substituer aux prestations de droit commun et à tout ce qui est couvert par la législation sociale. Notre rôle n’est pas d’enfermer les gens dans un rôle de victime lorsqu’ils ont pu en sortir eux-mêmes en faisant preuve d’une résilience impressionnante.

Concrètement, comment passerelles aide-t-elle les survivants ?
Nous sommes, c’est notre nom, là pour faire la passerelle entre les survivants et tous les services qui peuvent les aider, qu’il s’agisse de prestations de droit commun, ou de fonds d’aide qui leur sont spécifiquement destinés ou encore de centres d’archives ou de lieux de convivialité. Bien sûr, nous aidons les survivants, grâce à notre assistant social, à ouvrir leurs droits, nous les accompagnons administrativement. Lorsque nous avons affaire à des gens qui méconnaissent leurs droits ou qui sont réticents à faire appel eux-mêmes à l’administration, comme cela peut être le cas dans cette population, nous les aidons dans toutes les démarches pour faire avancer les choses. Il faut néanmoins avoir conscience que la majorité des survivants s’en est sortie au sens où ils ont pu malgré tout fonctionner, fonder une famille, contribuer, chacun à son niveau, au développement du pays. C’est souvent au moment où ils ont pris leur retraite, qui correspond peu ou prou au moment où il y a eu toutes les ouvertures de droits, qu’ils ont commencé à réfléchir à leur statut. Souvent, nous avons des parcours pour lesquels on se demande comment les gens tiennent encore debout après ce qu’ils ont vécu. Et pour eux, il n’est vraiment pas simple de solliciter une aide, parce qu’ils veulent garder la maîtrise totale de leur situation. Toute la complexité, toute la nuance, est de parvenir à travailler avec eux pour qu’ils nous fassent confiance et sachent qu’ils restent les décideurs tout en acceptant de lâcher un tout petit peu prise. D’autant que, souvent, ils n’imaginent même pas qu’il est possible de demander de l’aide. C’est là que nous intervenons: nous sommes un agitateur de liens et de passerelles entre le survivant et tous ceux qui peuvent apporter un mieux-être dans son quotidien.

Propos recueillis par Antoine Strobel-Dahan