Hauts les cancres

J’ignore à quoi peut bien servir l’école.

On s’y ennuie comme pas possible, la bouffe y est souvent dégueulasse, les salles de classe sont tristes à se pendre et les professeurs ressemblent à des potentats qui ne supportent pas la moindre contradiction. Les élèves tirent des tronches d’enterrés quand ils ne baillent pas à se décrocher la mâchoire. Du matin au soir, fort d’un chant funèbre qui jamais ne s’arrête, on les gave d’un savoir indigeste comme une pkaila congelée. En l’espace d’une seule journée, un gamin sera obligé de retenir que le PIB de la Chine pendant la révolution culturelle aura été deux fois moins élevé que celui de la Tanzanie du moins tant que cette dernière privilégia la culture du sucre à celle du coton, lequel coton s’apparente à une fibre végétale issue d’un arbuste de la famille des Malvacées, du latin Malvacérum qui au gérondif se décline comme un nom neutre de la seconde déclinaison du singulier, un singulier tout relatif puisque multiplié par la racine carrée du cosinus de π, il apparaît que selon la philosophie kantienne telle que la pratiquaient les Incas au sommet de la cordillère des Andes qui, ne l’oubliez jamais, culmine à 6 961 mètres, le résultat possiblement obtenu sera le contraire de la tangente atteinte après l’exode de la minorité assyrienne qui devant l’avancée des armées napoléoniennes, au sud-est de la région formée par l’Antarctique sud et les globules rouges du plateau alsacien, à l’intersection de la péninsule ibérique avec le régime des colonels tel qu’exposé par Tacite dans son fascicule datant de l’exposition du soufre au cuivre selon la classification de Mendeleïev, aboutira quelques années après à la mort de Madame Bovary, sœur d’Iphigénie et cousine de la famille des Agaricus silvaticus, dont sous la Terreur, à l’heure où le soleil effectue sa troisième révolution à hauteur de la Porte Dorée par laquelle pénétrèrent les spermatozoïdes décrits par Baudelaire – silence au fond de la classe sinon j’appelle Monsieur le proviseur ! – tout au long de son volume consacré à la fracture ouverte de l’hypoténuse, identité remarquable dont on ne conjugue jamais le complément circonstanciel de lieu, steal, stole, stolen, Ich bin ein Berliner, « Aujourd’hui ma mère est morte » e tutti quanti… Des questions, les morveux ?

Autant dire que je n’ai rien retenu de mes années de collège et de lycée. Atrocement rien. Parfois je me demande même si j’ai assisté à un seul cours. Je fus ce qu’il convient de nommer un élève tout à fait médiocre, un gentil garçon dont on ne trouvait rien à redire hormis cette tendance à rêvasser, seule matière dans laquelle j’excellais. Pour le reste, selon les dires de mes professeurs unanimes dans leurs dénonciations, je finirais probablement chômeur ou avec un peu de chance, expert en chasseur de nuages. Je n’en foutais pas une au grand désespoir de ma mère, elle-même professeur de lettres classiques qui le jour où je lui annonçai mon désir d’embrasser la carrière de footballeur, ne trouva rien à redire si ce n’est de menacer de mettre fin à ses jours là, maintenant, de suite.

Pauvre maman dont j’usais tant de sa patience que pour me punir, elle m’obligeait à avaler des platées entières de couscous tout en me demandant de réciter à voix haute et intelligible la déclinaison de je-ne-sais quelle locution latine ou grecque. Un tel naufrage que je devins vite l’objet de toutes les inquiétudes. Je n’étais doué en rien. J’étais paresseux. À moins d’un miracle, je finirais comme mon père : dépressif et sans un sou, confondant son bureau avec le club d’échecs de l’Avenue du Général-Leclerc où ma mère devait souvent aller le chercher pour le rappeler à ses devoirs de père.

J’exécrais l’école. Je m’y traînais avec l’entrain d’un condamné à mort à l’heure de monter sur l’échafaud. Le dimanche soir, je m’endormais des sanglots au cœur. J’aurais voulu m’enfuir mais pour aller où ? De toutes les façons, ma mère me tenait à l’œil. Si j’avais manqué ne serait-ce qu’une heure de cours, elle eût été capable d’appeler le GIGN pour me retrouver. J’étais cerné de partout. Quand le bulletin arrivait, je courais me réfugier dans le cagibi à balais. De derrière la porte, j’entendais alors monter un glapissement de douleur suivi d’une marée de larmes qui durerait le temps que mon père revienne du club d’échecs, si peu concerné par mon avenir que pour rassurer ma mère, il s’exclamerait : « Que veux-tu, au pire, il finira rabbin ». On me menaça de m’inscrire dans une école juive. J’en fus tellement effrayé que j’appris en deux jours la liste de tous les verbes irréguliers, anglais comme polonais.

Je me souvenais encore de l’année de préparation à ma bar-mitsva. Un autre désastre. Un de plus. Un de trop. À nouveau, je m’étais montré d’une médiocrité affligeante. Même l’histoire juive m’avait posé des problèmes insolubles. Malgré toute ma bonne volonté, il m’arrivait de confondre Pessah avec Kippour, Moïse avec David, le Mont Sinaï avec le Mont Valérien, la Haggada avec Idi Amin Dada. L’étudiant rabbin qui chaque semaine tâchait de m’initier aux joies du Talmud manqua de devenir fou. Je le voyais leçon après leçon perdre pied, se mettre à bégayer, rentrer dans des fureurs telles que sa kippa bondissait sur son crâne comme une balle de jokari devenue incontrôlable.

Quarante ans ont passé. J’ignore comment mais j’ai fini par avoir mon bac au bout de la deuxième

tentative et ce fut là le début et la conclusion de mes brillantes études. Le reste, tout le reste, mes innombrables succès, ma réussite insolente, mon statut envié de tous, je l’ai conquis sans l’aide de personne. À ce jour, je pense toujours que l’école est une institution vouée à fabriquer à la chaîne des crétins et des âmes mort-nées. Nulle joie ici. Nulle appétence, juste la grisaille d’un enseignement qui sert à meubler les heures vides de la journée quand les parents courent les rues pour gagner quelque argent. Tous les jours, c’est l’enfance qu’on assassine. Quand on sait la supercherie que représente toute vie, son irréductible absurdité, sa constante médiocrité, on pourrait au moins épargner à nos enfants ce sinistre calvaire. Leur foutre la paix. Les laisser découvrir par eux-mêmes les splendeurs des mondes inconnus. Les inviter à rêver, à s’ennuyer, à se perdre dans la contemplation de la nature. Au lieu de quoi, on les entasse dans des hangars à bestiaux où on se complaît à les engraisser d’inutiles et vaseuses connaissances lesquelles ne leur seront d’aucune utilité à l’heure de changer l’ampoule de la salle de bains.

Qu’on se le tienne pour dit, les cancres avec les plombiers sont l’avenir du genre humain.

  • Brigitte Sion
  • Dvorah Serrao

Une école juive connectée

Nommée depuis moins d’un an à la direction générale de l’Alliance israélite universelle par Marc Eisenberg, président de l’AIU et le Bureau, Dvorah Serrao a déjà mis toute sa passion, son énergie et ses compétences au service de la transition numérique : un objectif d’envergure à la fois urgent et complexe.
C’est que la vénérable institution fondée en 1860 doit absolument entrer dans le futur, car la révolution numérique est silencieuse mais déjà bien engagée. Alors que l’Éducation nationale accompagne depuis plusieurs années déjà les programmes d’enseignement général, l’enseignement juif se doit d’être qualitatif et engageant dans ses approches didactiques. Il doit être aussi bon ou meilleur que l’enseignement général.

 

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