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La cerise sur le ghetto

L’an prochain à Auschwitz

© Summer Wheat, Collision, 2021 – Courtesy: Braverman Gallery, Tel Aviv

Ma vie est un désastre absolu, un splendide naufrage. J’ai passé sur cette Terre plus d’un demi-siècle et, au regard de la somme de mes échecs, c’est comme si je n’avais pas vécu. Je n’ai rien d’accompli qui puisse mériter quelques applaudissements : j’ai erré ici et là sans m’attacher à rien, je ne possède ni voiture, ni stock-options, ni assurance vie, et malgré mes tentatives répétées, jusqu’à aujourd’hui, mes spermatozoïdes se sont montrés incapables de féconder autre chose qu’une bouillabaisse de projets mort-nés – une avalanche d’étreintes sans lendemain. De mon judaïsme, n’en parlons même pas. Je n’ai plus mis les pieds dans une synagogue depuis si longtemps que c’est tout juste si je saurais reconnaître une Torah d’un catalogue Ikea. Quant à ma kippa, la dernière fois que je l’ai aperçue, elle somnolait entre deux caleçons et trois paires de chaussettes, au fond d’un placard qui sert d’abribus à mon chat. Je suis un mauvais juif. La preuve : à cette heure, je n’ai toujours pas mis les pieds à Auschwitz. Je suis allé aux confins du Canada, j’ai visité en long et en large la côte bretonne, j’ai traîné mes guêtres du côté de Brooklyn, j’ai passé plus de temps qu’il n’en faut dans une banlieue cossue de Genève, j’ai arpenté la Bourgogne, exploré le Cantal, sillonné la Côte d’Azur, mais jamais je n’ai trouvé le temps de me rendre là où sont morts ceux qui me ressemblaient tant.

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