Le cas de BJ à New York

Né en Argentine, José Rolando Matalon s’oriente vers le rabbinat à l’issue d’une première éducation hétéroclite effectuée à Montréal, Jérusalem et aux États-Unis. Peu de temps après son ordination par le Jewish Theological Seminary (JTS) de New York en 1986, Rolando Matalon rejoint B’nai Jeshurun, une synagogue massorti de près de 1700 membres située dans l’Upper West Side à Manhattan, membre de l’assemblée rabbinique conservative (Rabbinical Assembly).

Dans plusieurs entretiens, accordés au Jewish Standard ou au Forward, Matalon explique que sa communauté a évolué au fil des décennies : un nombre croissant de couples mixtes souhaitaient s’unir à B’nai Jeshurun. L’appartenance de la synagogue à la Rabbinical Assembly interdit toutefois à ses rabbins d’officier lors de mariages mixtes.

Soucieux de « servir les besoins des membres de sa communauté », et d’« assurer l’avenir de la communauté juive nord-américaine », Matalon et ses collègues de B’nai Jerushun (qui a quitté le mouvement conservative/massorti en 1990 pour devenir « non affiliée ») ont lancé, en janvier 2017 une grande concertation, associant fidèles de la synagogue et des universitaires. Cette concertation se donnait pour objectifs de réfléchir au positionnement de la synagogue quant à la question des unions mixtes.

Les rabbins ont interrogé les fondements religieux et historiques de l’interdit des mariages mixtes. L’identité juive, rappelle Matalon, n’a jamais été binaire. Épouser un non-Juif soulevait peu de difficultés lors de la période pré-rabbinique, alors que les Juifs entretenaient de « bonnes relations » avec leur voisinage. La question clivait davantage les rabbins lors de la période médiévale, lorsque les Juifs vivaient en quasi-autarcie et que le mariage interreligieux marquait le départ irréversible d’un membre de la communauté vers une autre.
Aujourd’hui, une inflexion de la doctrine massorti en matière de mariages mixtes est nécessaire à plus d’un titre, souligne Matalon. Son expérience rabbinique est à cet égard, riche d’enseignements. Au cours de ses trente-deux années de rabbinats, de nombreux couples mixtes ont fait appel à lui en vue d’un mariage. La majorité d’entre eux ne veut pas se détourner du judaïsme. Au contraire, la personne juive du couple réitère très souvent son attachement au judaïsme et exprime le souhait, en accord avec son partenaire, d’élever leurs futurs enfants dans un contexte familial juif. Pour Matalon, refuser une union mixte peut être lourd de conséquences : le couple quitte la synagogue, embrasse un autre courant du judaïsme quand il ne choisit pas de s’en détourner définitivement… Les Juifs nord-américains, souligne enfin Matalon, sont bien moins marginalisés qu’ils ne l’étaient auparavant. Les unions mixtes sont de plus en plus nombreuses et les interdire peut conduire, à terme, à une véritable « hémorragie » de fidèles qui ne se « retrouvent » plus dans les valeurs juives. Ignorer cet enjeu est irresponsable, d’après Matalon.

À l’issue de cette longue concertation, les rabbins de B’nai Jeshurun ont donc décidé d’unir les couples mixtes au sein de leur synagogue à compter de 2018. Ces unions sont assorties de plusieurs conditions et diffèrent des mariages juifs classiques dans la communauté. Seuls les membres de la communauté B’nai Jeshurun peuvent y prétendre. Le couple doit s’engager à élever ses enfants dans un foyer juif, et vivre selon les coutumes du judaïsme massorti. Les rabbins ne suivent pas tout à fait le rituel juif : la cérémonie ne se conclut pas par la signature d’une ketouba, mais d’un contrat rituel appelé tenaim. Ils refusent également d’officier en présence d’un représentant d’une autre religion. La cérémonie présente un « caractère » et une « symbolique » juifs sans pour autant en en respecter tous les rites et en suivre la chronologie traditionnelle. Mais le Juif qui épouse un non-Juif demeure pleinement juif, souligne Matalon.