Si c’est une fille

BILLET DE SEFWOMAN

Ma mère s’attendait à un cinquième garçon. Elle avait tout calé : le prénom, le mohel, le traiteur. Oui je vous parle d’un temps où les échographies morphologiques n’existaient pas.
« Ben alors, vous n’êtes pas contente ? Une fille après quatre garçons ça tient du miracle », avait dit le docteur.
Petite dernière après quatre frères, mon enfance et mon adolescence ont ressemblé à une longue garde à vue sans présence obligatoire d’un avocat. Dès qu’un garçon m’approchait, des indics n’ayant rien à envier à ces « Français anonymes » qui envoyaient des missives pendant la guerre, en informaient mes frères qui rappliquaient aussi vite que des journalistes de NRJ12 à une sortie au resto de Nabilla. Un meilleur ami ? « Tu as des frères, ça ne te suffit pas ? ». Une voix masculine demandait à me parler au téléphone ? J’en avais pour quatre mois de remontrances. Un samedi, à la synagogue un ado m’a souri. Mes frères m’ont cuisiné pendant trois jours avant de se rendre compte que le mec souriait à la fille assise derrière moi. Le jour de mes 16 ans, je revois mon frère dans la salle de bains, assis sur le rebord de la baignoire, me regarder me démaquiller la bouche que j’avais eu le malheur de rosir, à peine, avec un rouge à lèvres offert par une cousine.

LA FêTE DES GARçONS

À l’âge où mes frères faisaient les 400 coups au Gibus, je suppliais mes parents pour avoir le droit d’aller voir L’Étudiante au cinéma en pleine après-midi. Et en toute logique, après m’avoir totalement coupée du monde masculin, toute ma famille s’est inquiétée de ne pas me voir mariée à 22 ans. Car, dans le même temps, si vous écoutez ma mère, c’est moi qui lui ai donné le plus de souci. C’est souvent ce qu’elle dit le jour de la fête des garçons. Ce jour-là, elle est toute pimpante et enjouée. La pièce montée trône sur la table comme un symbole phallique. Aucune absence n’est tolérée. Chaque année, je me sens comme Patrick Bruel à la cérémonie des Césars. L’année dernière, comme d’habitude, j’ai fait tapisserie. Je souris. Je regarde mes belles-sœurs couver leurs filles du regard, les pousser à faire des études, à ne jamais être dépendantes financièrement et intellectuellement d’un homme. Je suis heureuse de voir que, dans les familles d’aujourd’hui, le machisme séfarade s’effrite comme les murs d’une maison trop vieille. C’est à ce moment-là que ma mère a répondu au rabbin qui se plaignait de l’absence des femmes à la synagogue : « C’est normal, on n’y est pas bien accueillies. On est des femmes, pas des pestiférées ! ». Ça ne s’invente pas.

Sefwoman est chroniqueuse sur Jewpop: www.jewpop.com

YOUPI, C’EST UN GARÇON !

Rabbin Delphine Horvilleur

Lorsqu’un enfant naît, il existe une phrase que doivent prononcer ses parents, réjouis. Littéralement, cette bénédiction rend grâce à l’Éternel Hatov veHametiv, « qui est bon et fait le bien ». Mais le Shoulhan Aroukh, le plus célèbre code de loi juif, commande de ne réciter cette bénédiction qu’à la naissance… d’un garçon, conscient que l’arrivée d’une petite fille n’est sans doute pas apte à susciter de la part des parents le même enthousiasme… Le Talmud n’affirme-t-il pas :
« Heureux celui dont les enfants sont des garçons, et désolation à celui dont les enfants   sont   des filles » ? (Qiddushin 82b). Si l’enfant mâle est toujours plus désiré dans les sociétés traditionnelles, que faire aujourd’hui de cette littérature ancienne dans nos sociétés modernes ? Nouvelle époque, nouvelles mœurs… certains décisionnaires orthodoxes invitent les jeunes parents à réciter la bénédiction, même pour une fille. Mazel tov !