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YOSSEF HAYIM BRENNER

L’histoire racontée ci-dessous, aussi probable que toute fiction, pourrait presque commencer comme une autre, bien célèbre :

Comme il faisait un froid de 41 °F, Great Russell Street se trouvait absolument désert.
Deux hommes parurent.
L’un venait de Hampstead, l’autre de Whitechapel. Le plus grand, élégant, légèrement voûté, portant barbe grisonnante et chapeau melon, marchait lentement, plongé dans ses pensées. Le plus petit, trapu, de carrure paysanne, barbe et cheveux drus en bataille, portant maladroitement costume et chapeau étriqués, avançait d’un pas vif et mécanique, l’œil bleu attentif au spectacle de la rue. Quand ils furent arrivés au milieu de la salle du British Museum consacrée aux dessins de Rembrandt, ils s’assirent, à la même minute, sur la même banquette, et posèrent leur chapeau, chacun près de soi.

Comme Bouvard et Pécuchet, les deux hommes ont un même dessein grandiose et fou, qui les rapproche : le premier est l’explorateur d’un continent encore inconnu, l’inconscient humain, dont il pense qu’il est articulé comme un langage déchiffrable, objet d’une science qu’il se propose de fonder. Le second appartient à un peuple errant, sans terre ni langue, auquel il veut rendre sa dignité en ranimant une grande et belle langue qui est la sienne : l’hébreu.
Nous sommes à l’automne 1907 et c’est le jour de Kippour. Freud est de passage à Londres, chez son demi-frère bien aimé, Emmanuel, il est venu une fois de plus voir les hiéroglyphes égyptiens qui le fascinent.

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