Il y a des écrivains dont j’entends la voix, toute proche à mon oreille. En français, venue de loin, murmurée, mais parfaitement audible. Aucun grand romancier, parmi ceux qui me fondent et qui vivent en moi, ne m’a provoqué cette hallucination auditive. Mais le Montaigne des Essais et le Descartes des six Méditations, comme les six Suites de Bach, j’entends leur voix. Peut-être parce qu’elles viennent de très loin et qu’elles sont profondément singulières, qu’elles s’élèvent seules, au-dessus du brouhaha des siècles. Et il y a un troisième dont j’ose à peine écrire le nom à la suite de ces auteurs profanes, c’est celui de Rashi de Troyes. Que les doctes sages et rabbins me pardonnent, mais j’entends la voix du grand commentateur de la Torah et du Talmud, comme celle d’un grand écrivain. Et l’entendant ainsi, je perçois chez lui des choses d’écrivain, des choses où le commentaire du texte sacré se double d’une voix subjective et unique qui s’adresse à moi, lectrice, toute aussi unique.
Lorsque Montaigne se retire de ses fonctions politiques dont il a tant appris et qu’entouré de ses livres, il écrit au détour d’une page, C’est une humeur melancholique, et une humeur par consequent tresennemie de ma complexion naturelle, produite par le chagrin de la solitude en laquelle il y a quelques années je m’étais jecté, qui m’a mis premierement en tête cette resverie de me mesler d’écrire.
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