Schola post-lectionem

Portfolio

© Céline Nieszawer

L’école de la vie

Pour ma mère, l’école était essentielle mais elle est morte quand j’ai eu treize ans. Je vivais donc avec mon père qui me disait toujours :  « L’école ce n’est pas important, c’est après que ça se passe ».
Lui, à douze ans, il s’était échappé du bus de Drancy, qui l’aurait conduit à Auschwitz.
Et de l’école, il avait juste retenu deux phrases d’une poésie : « L’aube rayonnait sur les cimes, comme j’allais le cœur battant… »
Ensuite, il a dû se débrouiller seul. Un jeune garçon juif livré à lui-même, sans parent, dans un Paris occupé.

J’ai écouté mon père et, comme j’étais une gentille petite fille, je suis devenue mauvaise élève, un cancre, un bonnet d’âne, ravie de me retrouver au fond de la classe, près du radiateur qui me tenait chaud l’hiver, et où je pouvais m’éteindre tranquillement en laissant passer le temps.

J’ai changé huit fois d’écoles, du collège au lycée.

Le jour où j’ai raté mon bac avec brio, dans une logique implacable, comme un acte révolutionnaire, mon père a été très déçu.
N’avais-je pas bien saisi son message ?
Il me croyait plus intelligente, je crois.

Peu de temps après, il est mort lui aussi. Je n’avais plus personne pour me pousser à retourner sur les bancs de l’école. Alors, j’ai choisi la chose la plus simple. Appuyer sur le bouton de mon appareil photo, et ça a marché. J’ai suivi à la lettre la philosophie de mon père, puisque c’est après l’école que j’ai tracé mon propre chemin.

Bien sûr, j’aurais pu aller plus loin si j’avais été bonne élève. Je n’aurais pas eu ce complexe ridicule de ceux qui n’ont pas fait de longues études. Mais, au final, aurais-je été aussi libre, aussi indépendante ? Aurais-je dessiné mes petits dessins naïfs qui me font tant de bien ? Est-ce que j’aurais pu écrire des livres pleins de légèreté sans me poser trop de questions ?
Difficile à dire !

Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne ma vie d’aujourd’hui et quand l’aube rayonne sur les cimes, je suis du genre à m’en aller le cœur battant, avec mon appareil en bandoulière.
Et ça, je le souhaite à tout le monde…

© Céline Nieszawer
© Céline Nieszawer
© Céline Nieszawer
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